Les amours du Chico
soudaine et vive sympathie.
Et c’était encore un spectacle peu banal et qui eût fait béer
d’étonnement ses ennemis que de voir le terrible, le redoutable,
l’invincible Pardaillan assis entre deux fillettes, écoutant en
souriant d’un sourire jeune et indulgent leurs innocents et futiles
propos, et ne dédaignant pas d’y prendre part de temps en
temps.
Lorsque Pardaillan s’était réveillé, après avoir dormi une
partie de la matinée, la vieille Barbara, sur ordre de Juana, lui
avait fait part du désir exprimé par don César de le voir veiller
sur la Giralda. Sans dire un mot, Pardaillan avait ceint gravement
son épée – cette épée qu’il avait ramassée sur le champ de
bataille, lors de sa lutte épique avec les estafiers de Fausta – et
il était descendu, sans perdre un instant, se mettre à la
disposition de la petite Juana.
Il s’était placé de façon à barrer la route à quiconque eût été
assez téméraire pour pénétrer dans le cabinet sans l’assentiment de
la maîtresse du lieu. Et à le voir si calme, si confiant dans sa
force, les deux jeunes filles s’étaient senties plus en sûreté que
si elles avaient été sous la garde de toute une compagnie d’hommes
d’armes du roi.
La petite Juana, en maîtresse de maison avisée, soucieuse de
satisfaire son hôte, sans attendre que le chevalier le demandât,
avait donné discrètement un ordre à une servante, laquelle s’était
empressée de placer devant Pardaillan un verre, une assiette garnie
de pâtisseries sèches et une bouteille d’excellent Vouvray mousseux
et pétillant. Juana avait en effet remarqué que son hôte avait un
faible pour ce vin.
Pardaillan fut très sensible à cette attention ; il se
contenta pourtant de remercier d’un sourire sa jolie hôtesse. Mais
ce sourire était si cordial, la joie qui pétillait dans son œil
était si évidente que Juana s’estima plus amplement récompensée que
par la plus alambiquée des protestations.
Le premier mot de Pardaillan fut pour dire :
– Et mon ami Chico ? Je ne le vois pas. Où est-il
donc ?
Avec un sourire malicieux, Juana demanda sur un ton assez
incrédule :
– Est-ce bien sérieusement, monsieur le chevalier, que vous
donnez ce titre d’ami à un aussi piètre personnage que le
Chico ?
– Ma chère enfant, dit gravement Pardaillan, croyez bien
que je ne plaisante jamais avec une chose respectable. Que le Chico
soit un piètre personnage, comme vous dites, peu me chaut. Je n’ai
pas, Dieu merci ! l’habitude de subordonner mes sentiments à
là condition sociale de ceux à qui ils s’adressent. Tel qui paraît
un grand et illustre personnage, chargé de biens et de quartiers de
noblesse, m’apparaît parfois comme un triste sire, et inversement
tel pauvre diable m’apparaît très noble et très estimable. Si je
donne ce titre d’ami au Chico, c’est qu’effectivement il l’est. Et
quand je vous aurais dit que je suis extrêmement réservé dans mes
amitiés, ce sera une manière de vous dire que le Chico mérite tout
à fait ce titre.
– Mais enfin qu’a-t-il donc fait de si beau qu’un homme tel
que vous en parle de si élogieuse façon ?
Pardaillan trempa flegmatiquement un gâteau dans son verre, et
faisant mousser le vin en l’agitant, il dit avec un sourire
narquois :
– Je vous l’ai dit : c’est un brave. Que si vous
désirez en savoir plus long, je vous dirai un de ces jours ce qu’il
a fait pour acquérir mon estime. Pour le moment, tenez pour très
sérieux que je le considère réellement comme un ami et répondez,
s’il vous plaît, à ma question : comment se fait-il que je ne
le voie pas ? Je le croyais de vos bons amis à vous aussi, ma
jolie Juana ?
Il sembla à Juana qu’il y avait une intention de raillerie dans
la façon dont le chevalier prononça ces dernières paroles. Mais
avec le seigneur français, il n’était jamais facile de se prononcer
nettement. Il avait une si singulière manière de s’exprimer, il
avait un sourire surtout si déconcertant, qu’on ne savait jamais
avec lui. Aussi ne s’arrêta-t-elle pas à ce soupçon, et avec une
moue enfantine :
– Il m’agaçait, dit-elle, je l’ai chassé.
– Oh ! oh ! quel méfait a-t-il donc
commis ?
– Aucun, seigneur de Pardaillan, seulement… c’est un
sot.
– Un sot ! le Chico ! Voilà ce que vous ne me
ferez pas croire. C’est un garçon très fin au contraire, très
intelligent, et qui vous
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