Les amours du Chico
position d’officiers en service
commandé. Il ne leur était guère possible de manifester leurs
sentiments, encore moins de se chercher querelle. En toute autre
circonstance, don César aurait infailliblement provoqué Barba-Roja.
Ici, il fut contraint d’accepter le voisinage et de dissimuler sa
mauvaise humeur.
Avant de se rendre sur la place San-Francisco, il y avait eu une
grande discussion entre la Giralda et don César. Sous l’empire de
pressentiments sinistres celui-ci suppliait sa fiancée de
s’abstenir de paraître à la course et de rester prudemment cachée à
l’auberge de
la Tour,
d’autant plus que la jeune fille ne
pourrait assister au spectacle que perdue dans la foule.
Mais la Giralda voulait être là. Elle savait bien que le jeu
auquel allait se livrer son fiancé pouvait lui être fatal. Elle
n’eût rien fait ou rien dit pour le dissuader de s’exposer, mais
rien au monde n’eût pu l’empêcher de se rendre sur les lieux où son
amant risquait d’être tué.
La mort dans l’âme, le Torero dut se résigner à autoriser ce
qu’il lui était impossible d’empêcher. Et la Giralda, parée de ses
plus beaux atours, était partie avec le Torero pour se mêler au
populaire. La présence de don César lui avait été utile en ce sens
qu’elle lui avait permis de se faufiler au premier rang où elle
s’organisa de son mieux, pour passer les longues heures d’attente
qui devaient s’écouler avant que la course commençât. Mais cela lui
était bien égal. Elle avait une place d’où elle pourrait voir tous
les détails de la lutte de son amant contre le taureau ;
c’était l’essentiel pour elle, peu lui importait le reste. Elle
aurait la force et la patience d’attendre.
Naturellement, elle aurait préféré aller s’asseoir sur les
gradins tendus de velours qu’elle apercevait là-bas. Mais il eût
fallu être invitée par le roi, et pour être invitée, il eût fallu
qu’elle fût de noblesse. Elle n’était qu’une humble bohémienne,
elle le savait, et sans amertume, sans regrets et sans envie, elle
se contentait du sort qui était le sien.
Au reste elle avait eu de la chance. La Giralda était aussi
connue, aussi aimée que le Torero lui-même. Or, parmi la foule où
elle se glissait à la suite du Torero, on la reconnaissait, on
murmurait son nom, et avec cette galanterie outrée, particulière
aux Espagnols, avec force œillades et madrigaux, les hommes
s’effaçaient, lui faisaient place. Que si quelque péronnelle
s’avisait de récriminer, on lui fermait la bouche en
disant :
– C’est la Giralda !
C’est ainsi qu’elle était parvenue au premier rang. Et, chose
bizarre, dans cette foule, car la place était déjà envahie
longtemps avant l’heure, dans cette foule où se voyaient quantité
de femmes, le hasard voulut qu’elle se trouvât seule à l’endroit où
elle aboutit. Autour d’elle, elle n’avait que des hommes qui se
montraient galants, empressés, mais respectueux.
Jusqu’aux deux soldats de garde à cet endroit qui lui
témoignèrent leur admiration en l’autorisant, au risque de se faire
mettre au cachot, à passer de l’autre côté de la corde, où elle
serait seule, ayant de l’air et de l’espace devant elle, délivrée
de l’atroce torture de se sentir pressée, de toutes parts, à en
étouffer.
Un escabeau, apporté là par elle ne savait qui, poussé de main
en main jusqu’à elle, lui fut offert galamment et la voilà assise
en deçà de l’enceinte réservée au populaire.
En sorte que, seule, en avant de la corde, assise sur son
escabeau, avec les deux soldats, raides comme à la parade, placés à
sa droite et à sa gauche, avec ce groupe compact de cavaliers
placés derrière elle, elle apparaissait dans sa jeunesse radieuse,
dans son éclatante beauté, sous la lumière éblouissante d’un soleil
à son zénith, comme la reine de la fête, avec ses deux gardes et sa
cour d’adorateurs.
Peut-être, si elle avait regardé plus attentivement les galants
cavaliers qui l’avaient, pour ainsi dire, poussée jusqu’à cette
place d’honneur, peut-être eût-elle éprouvé quelque appréhension à
la vue de ces mines patibulaires. Peut-être se fût-elle inquiétée
du soin avec lequel tous, malgré la chaleur torride, se drapaient
soigneusement dans de grandes capes, déteintes par les pluies et je
soleil. Et si elle avait pu voir le bas de ces capes relevé par des
rapières démesurément longues, les
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