Les amours du Chico
plus
furieuse encore par la vue du sang répandu. Car le cheval, malgré
le caparaçon de fer, frappé au ventre, perdait ses entrailles par
une plaie large, béante.
Relever un homme du poids de Barba-Roja n’était pas besogne si
facile, d’autant que le poids du colosse s’augmentait de celui de
l’armure. On en fût cependant venu à bout s’il avait aidé lui-même
ceux qui se dévouaient pour lui. Mais le malheureux Barba-Roja,
fortement ébranlé dans sa carapace de fer, était réellement évanoui
et ne pouvait par conséquent s’aider en rien.
Il fallut donc renoncer à le relever et s’occuper incontinent de
le transporter hors de la piste. La barrière n’était pas loin,
heureusement, et les quatre hommes qui le secouraient, bien que
troublés par l’évolutions du taureau, seraient parvenus à le faire
passer de l’autre côté de l’abri, si le taureau n’avait eu une idée
bien arrêtée et n’eût poursuivi l’exécution de cette idée avec une
ténacité déconcertante.
Nous avons dit que la bête en voulait à cette masse de fer et
surtout à celle qui l’avait frappé.
Voici qui le prouve :
Le taureau avait atteint le cheval. Sans s’occuper de ce qui se
passait autour de lui, sans donner dans les pièges que lui
tendaient les hommes du cavalier, écrasé sur le sol, cherchant à
l’éloigner de la monture, il s’acharna sur le malheureux coursier
avec une rage dont rien ne saurait donner une idée.
Mais, tout en frappant et en broyant une partie de masse qui
l’avait bafoué, c’est-à-dire le cheval, il n’oubliait pas l’autre
partie qui l’avait blessé, c’est-à-dire l’homme étendu sur le
sable.
Quand le cheval ne fut qu’une masse de chairs pantelantes
encore, il le lâcha et se retourna vers l’endroit où était tombé
l’homme.
Et ce qui prouve bien qu’il suivait son idée de vengeance et la
mettait à exécution avec un esprit de suite vraiment surprenant,
c’est que toutes les tentatives des aides de Barba-Roja pour le
détourner échouèrent piteusement.
Le taureau, de temps en temps, se détournait de sa route pour
courir sus aux importuns. Mais quand il les avait mis en fuite, il
ne continuait pas la poursuite et revenait avec acharnement au
blessé, qu’il voulait, c’était visible, atteindre à tout prix.
Les serviteurs de Barba-Roja, voyant le taureau, plus furieux
que jamais, foncer sur eux, voyant l’inutilité des efforts de leurs
camarades, se sentant enfin menacés eux-mêmes, se résignèrent à
abandonner leur maître et s’empressèrent de courir à la barrière et
de la franchir.
Un immense cri de détresse jaillit de toutes les poitrines
étreintes par l’horreur et l’angoisse. Déjà l’effroyable boucherie
du malheureux cheval avait ébranlé les nerfs de plus d’un qui se
croyait plus résistant. Plus d’une noble dame s’était évanouie,
plus d’une poussait de véritables hurlements, comme si elle se fût
sentie menacée elle-même.
La piste avait été envahie par une foule de braves, courageux
certes, animés des meilleures intentions aussi, mais agissant sans
ordre, dans une confusion inexprimable, se tenant prudemment à
distance du taureau et ne réussissant, en somme, par leurs clameurs
et leur vaine agitation, qu’à l’exaspérer davantage, si
possible.
À moins d’un miracle, c’en était fait de Barba-Roja. Tous le
comprirent ainsi.
Le roi, dans sa loge, se tourna légèrement vers d’Espinosa et,
froidement :
– Je crois, dit-il, qu’il vous faudra vous mettre en quête
d’un nouveau garde du corps pour mon service particulier.
Ce fut tout ce qu’il trouva à dire en faveur de l’homme qui, à
tout prendre, l’avait, durant de longues années, servi avec
fidélité et dévouement.
Aussi froidement, d’Espinosa s’inclina pour manifester que
c’était aussi son avis.
Cependant le taureau arrivait sur l’homme, toujours étalé sur le
sol. La seule chance qui lui restait de s’en tirer résidait
maintenant dans la solidité de son armure et dans la versatilité de
la bête qui chargeait. Si elle se contentait de quelques coups,
l’homme pouvait espérer en réchapper, fortement éclopé sans doute,
estropié peut-être, mais enfin avec des chances de survivre à ses
blessures. Si la bête montrait le même acharnement qu’elle avait
montré pour le cheval, il n’y avait pas d’armure assez puissante
pour résister à la force des coups redoublés qu’elle lui
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