Les amours du Chico
de l’occupant – nul ne se fut
avisé de l’approcher de trop près, il y allait de la vie –, cet
autel se dressait non plus orné de fleurs éclatantes, paré de
dentelles d’un prix fabuleux, étincelant des feux de mille cierges
allumés, comme la veille, mais nu, froid, morne, triste, abandonné.
Et tout au haut de l’autel, sur sa croix de fer rouillé, le bronze
doré du Christ ciselé, flamboyant d’un éclat insoutenable sous les
rayons obliques d’un soleil couchant, qui le nimbaient d’une
auréole de feu, le Christ de bronze semblait tendre vers lui ses
bras suppliants.
Et le roi Philippe II songea :
« Pourquoi ce massacre ? Qu’ai-je à craindre de ce
jeune homme ? (le Torero, son petit-fils). Sait-il
seulement ? Même s’il sait, que peut-il ? Rien !
Pourquoi ne pas le laisser vivre ? Tout semble me sourire.
Cette princesse Fausta m’a remis la déclaration qui me fait roi de
France. Le Béarnais hérétique devra fuir devant la réprobation de
tous les catholiques de France… et si cette réprobation ne suffit
pas, mes armées seront là pour un coup. Sixte Quint, l’ennemi
déclaré de ma politique, n’est plus. Son successeur sera à moi… ou
il disparaîtra de ce monde. Tout va donc au mieux de mes désirs.
Pourquoi tuer ? Est-ce bien nécessaire ? Il y a, il est
vrai, ce chevalier de Pardaillan ! Celui-là, il est condamné,
et si je le laisse aller aujourd’hui, je pourrai toujours demain
étendre ma main sur lui et le broyer. Allons, c’est dit ; je
crois vous avoir compris, ô divin Crucifié. Vous m’avez crié, du
haut de votre croix « Sois clément ! sois
généreux ! » Non, cet horrible massacre n’aura pas
lieu. »
À cet instant précis, une voix murmura à son oreille :
– Je viens de donner les derniers ordres. Ils ne sauraient
nous échapper. Tout à l’heure, dans un instant, ils seront en notre
pouvoir et tout sera dit.
Le roi tressaillit violemment et se retourna brusquement.
Debout derrière lui, le grand inquisiteur d’Espinosa le couvrait
de la pourpre de son costume de cardinal, comme une énorme tache de
sang qui s’étendait sur lui, l’enveloppait, le dominait, tache de
sang réclamant du sang, encore, toujours, avec l’assurance donnée
que ce sang répandu se confondrait avec elle, disparaîtrait en
elle.
Et comme si la présence de cette ombre rouge planant sur lui eût
suffi à faire vaciller ses résolutions, le roi qui, à l’instant
même, était décidé à faire grâce, le roi redevint flottant et
irrésolu.
– Ne pensez-vous pas, monsieur, qu’après les nouvelles qui
nous sont parvenues, on pourrait surseoir à nos projets ? Tout
bien pesé, en quoi la mort de ce jeune homme nous sera-t-elle
utile ? Ne pourrait-on l’exiler, l’envoyer en France ou
ailleurs, avec défense de rentrer dans nos États, à peine de la
vie ?
D’Espinosa était loin de s’attendre à un pareil revirement.
Néanmoins il ne sourcilla pas. Il ne manifesta ni surprise ni
mécontentement. Il était sans doute accoutumé à lutter sourdement
contre son orgueilleux maître pour arriver à lui faire adopter
comme siennes propres les décisions qu’il avait prises, lui, grand
inquisiteur. Son œil noir pesa lourdement sur celui de son maître
comme s’il eût voulu lui communiquer sa volonté.
– S’il n’y avait que ce jeune homme, on pourrait, en effet,
s’en débarrasser à bon compte. Mais il y a autre chose, sire. Il y
a le sire de Pardaillan.
Fausta frémit. Quel accès de générosité prenait donc le
roi ? Allait-il faire grâce aussi à Pardaillan ? À son
tour elle fixa le roi comme si elle eût voulu aider, de toute sa
volonté tenace, la volonté de d’Espinosa.
Mais Philippe ne songeait pas à étendre sa mansuétude jusque sur
le chevalier. Il répondit donc vivement :
– Pour celui-là, je vous l’abandonne. On pourrait toutefois
remettre à plus tard son exécution.
Rudement, d’Espinosa dit :
– Le sire de Pardaillan a trop longtemps attendu le
châtiment dû à son insolence. Ce châtiment ne saurait être différé
plus longtemps. Il y va de la majesté royale, à laquelle, moi
vivant, nul ne pourra attenter sans payer ce crime de sa vie.
Le roi hocha la tête. Il ne paraissait pas très convaincu.
Alors d’Espinosa, faisant peser son œil scrutateur sur
Fausta :
– Ce n’est pas tout sire. M me la princesse
Fausta pourra vous dire que je n’invente ni n’exagère
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