Les amours du Chico
Pardaillan, qui se vante de m’avoir désarmé et
mis en fuite, me doit bien une revanche, que diable ! Je ne
suis venu ici que pour cela, moi !
Fausta le considéra une seconde avec un étonnement qui n’avait
rien de simulé. Bussi-Leclerc, qui s’était toujours laissé désarmer
dans toutes ses rencontres avec Pardaillan, choisissait le moment
où celui-ci était enfin pris pour venir le provoquer. Très
sincèrement, elle le crut soudainement frappé de démence. Elle
baissa d’instinct le ton pour lui demander d’un air vaguement
apitoyé :
– Vous voulez donc vous faire tuer ? Croyez-vous que,
dans sa situation, il poussera la folie jusqu’à vous faire grâce de
la vie, une fois de plus ?
Bussi-Leclerc secoua la tête avec un entêtement farouche, et
sur, un ton d’assurance qui frappa Fausta :
– Rassurez-vous, madame, dit-il. Je comprends ce que vous
dites… et même ce que vous n’osez me dire en face, de peur de me
contrister. Le sire de Pardaillan ne me tuera pas. Je vous en donne
l’assurance formelle.
Fausta crut qu’il avait inventé ou acheté quelque botte secrète,
comme on en trouvait tous les jours, et que sûr de triompher, il
tenait à le faire devant tous ces soldats qui seraient les témoins
de sa victoire et rétabliraient sa réputation ébranlée de maître
invincible. Il paraissait tellement sûr de lui qu’une autre
appréhension vint l’assaillir, qu’elle traduisit en
grondant :
– Vous n’allez pas le tuer, j’imagine ?
– Peste non ! madame. Je ne voudrais ni pour or ni
pour argent le soustraire au supplice qui l’attend. Je ne le tuerai
pas, soyez tranquille.
Il prit un temps pour produire son petit effet avec plus de
force et, avec une insouciance affectée :
– Je me contenterai de le désarmer.
Fausta demeura un moment perplexe. Elle se demandait si elle
devait le laisser faire. Non qu’elle s’intéressât à lui à ce point,
mais tant elle craignait de voir Pardaillan lui échapper. C’est
qu’elle était payée pour savoir qu’avec le chevalier on ne pouvait
jamais jurer de rien.
Elle allait donc donner l’ordre de procéder à l’instant à la
prise de corps de celui qu’on pouvait considérer comme
prisonnier.
Bussi-Leclerc lut sa résolution dans ses yeux.
– Madame, dit-il d’une voix tremblante de colère contenue,
j’ai fait vos petites affaires de mon mieux et moi seul sais ce
qu’il m’en a coûté. De grâce, je vous en prie, laissez-moi faire
les miennes à ma guise… ou je ne réponds de rien.
Ceci était dit sur un ton gros de sous-entendus menaçants.
Fausta comprit que le contrarier ouvertement pouvait être
dangereux.
Qui pouvait savoir à quelles extrémités pourrait se livrer cet
homme que la haine rendait fou furieux ? Au surplus, en
considérant les troupes formidables qui entouraient le chevalier,
elle se rassura quelque peu.
– Soit, dit-elle d’un ton radouci, agissez donc à votre
guise.
Et en elle-même, elle ajouta :
« S’il se fait tuer, s’il reçoit une suprême et sanglante
humiliation, après tout, tant pis pour lui. Que m’importe, à
moi. »
Bussi-Leclerc s’inclina, et froidement :
– Écartez-vous donc, madame, et ne craignez rien. Il
n’échappera pas au sort qui l’attend.
Et se tournant vers Pardaillan qui, un sourire dédaigneux aux
lèvres, avait attendu patiemment la fin de cet entretien
particulier :
– Holà ! monsieur de Pardaillan, fit-il à haute voix,
ne pensez-vous pas que l’heure est bien choisie pour donner au
mauvais écolier que je suis une de ces prestigieuses leçons dont
vous seul avez le secret ? Voyez l’admirable galerie de braves
qui vous entoure. Où trouver témoins plus nombreux et mieux
qualifiés de la défaite humiliante que vous ne manquerez pas de
m’infliger ?
Pardaillan savait bien, quoi qu’il en eût dit, que Bussi-Leclerc
était brave. Il savait bien que la mort ne l’effrayait pas. Mais il
savait aussi que ce que le spadassin appréhendait par dessus tout,
c’était précisément de se voir infliger devant témoins la défaite
dont il parlait en raillant.
Or, jusqu’ici, l’insuccès de ses diverses tentatives était fait
pour lui faire plutôt éviter une rencontre avec celui qu’il était
bien forcé de reconnaître pour son maître en escrime.
D’où venait donc que Bussi-Leclerc osait l’appeler en combat
singulier devant cette multitude de soldats qui seraient témoins de
son humiliation ?
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