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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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ne laissait paraître sur ses traits qu’une majesté impassible. Ses cheveux, à elle aussi, avaient perdu leur poudre. On ne s’en apercevait pas, ils étaient blancs depuis Varennes. De temps à autre, elle se tamponnait le front, les lèvres. C’est tout ce qu’elle accordait à la contrainte des circonstances. Le cœur déchiré, les yeux maintenant sans une larme, elle voyait se tendre contre elle ces poings, ces bras teints du sang de ses défenseurs. Elle devait à leur sacrifice de se montrer digne d’eux, et, s’il le fallait, elle saurait comme eux mourir pour la royauté. Madame Élisabeth priait. M me  de Lamballe, tourmentée de ne point voir Pierre de Segret parmi les gentilshommes parvenus jusqu’ici, oubliait cette inquiétude et bien d’autres angoisses pour rassurer la jeune Madame Royale qui ne comprenait pas l’événement, mais en sentait toute l’étrangeté et en éprouvait de l’effroi.
    Vergniaud rentra, un papier à la main, la figure sombre. Tandis qu’il gravissait les quelques marches de l’estrade présidentielle où Guadet lui céda la place, le bruit s’éteignit dans le long vaisseau ombreux, fourmillant de visages et traversé de rayons sous son plafond de bois brun. Toute l’assistance attendait nerveusement. Claude et Lise, du même côté que le président, voyaient seulement son profil perdu sur le fond de la Montagne. Le silence était comme une bulle au milieu de la rumeur du dehors. La voix de Vergniaud s’éleva, grave, morne. « Je viens, au nom de la commission extraordinaire, vous proposer une mesure bien rigoureuse, mais je m’en rapporte à la douleur dont vous êtes pénétrés pour juger combien il importe au salut de la patrie que vous adoptiez sur-le-champ cette mesure. L’Assemblée nationale, considérant que les dangers de la patrie sont parvenus à leur comble, que les maux dont nous gémissons dérivent principalement des défiances qu’inspire le chef du pouvoir exécutif, que ces défiances ont provoqué dans toutes les parties de l’empire le vœu d’une révocation de l’autorité confiée à Louis XVI ; considérant néanmoins que le corps législatif ne veut agrandir par aucune usurpation sa propre autorité, et qu’il ne peut concilier son serment à la Constitution avec sa ferme volonté de sauver la liberté qu’en faisant appel à la souveraineté du peuple, décrète ce qui suit : 1 o  Le peuple français est invité à former une Convention nationale ; 2 o  Le chef du pouvoir exécutif est provisoirement suspendu de ses fonctions, un décret sera proposé dans la journée sur la nomination d’un gouverneur du prince royal ; 3 o  Le paiement de la liste civile est suspendu ; 4 o  Le Roi et sa famille demeureront dans l’enceinte du corps législatif jusqu’à ce que le calme soit rétabli dans Paris. Le Département lui fera préparer le Luxembourg pour résidence, sous la garde des citoyens. »
    « Provisoirement suspendu ! s’exclama Claude. Ils ne peuvent décidément pas se résoudre à le déposer. Que leur faudra-t-il pour en arriver là ? Ils espèrent encore continuer la monarchie avec le Dauphin, voilà pourquoi ils veulent lui donner un gouverneur. C’est l’affaire de Robespierre. Lui qui, l’année dernière, aspirait à ce rôle ! »
    La majorité du public ne semblait pas plus satisfaite que Claude. Toutefois les représentants ne protestèrent point, même sur la Montagne à chaque bout de la salle. Sans discussion, ils se rendirent à l’appel nominal, car il fallait les distinguer des gens mêlés à eux sur les banquettes. Comme Coustard se levait, le Roi lui dit, avec cette ironie qu’il montrait dans les circonstances où elle paraissait le moins de mise : « Ce que vous faites là n’est pas trop constitutionnel.
    — Sans doute, sire, lui répondit le député, mais c’est le seul moyen de vous sauver la vie. »
    Le décret était à peine voté que de nouveaux pétitionnaires se présentèrent à la barre, sommant l’Assemblée de prononcer la déchéance. « Les représentants du peuple, répliqua Vergniaud, ont fait tout ce que leur permettaient leurs pouvoirs en décrétant qu’il serait nommé une Convention nationale pour statuer sur cette question. En attendant, la suspension doit suffire à rassurer le peuple contre les trahisons du pouvoir exécutif. Ne réduit-elle pas le Roi à l’impossibilité de nuire ? » Claude reconnut que Vergniaud avait raison.

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