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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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descendait la rue au pas de course. On n’avait plus guère de cartouches. « Sur la place ! Vivement, sur la place ! » lança Saint-Venant. Les blessés, incapables de combattre, se jetèrent qui dans la rue Saint-Florentin, qui dans la rue Royale. Sur la place LouisXV, où des paquets de curieux se mêlaient aux troupes, la petite colonne, un instant regroupée, se dispersa au milieu des remous provoqués par sa sortie. Pierre de Segret était encore avec le major de Villers et une douzaine de gentilshommes, de grenadiers en train d’attaquer à la baïonnette, sous la statue de Louis XV, un canon gardé par un faible détachement. Ils s’emparèrent de la pièce sans pouvoir s’en servir, il fallut la défendre aussitôt contre les gardes nationaux qui contre-attaquaient. Battant en retraite vers la Seine, on tira les ultimes cartouches.
    Un furieux désespoir au cœur, Segret voyait tomber l’un après l’autre ses compagnons. Et l’on s’éloignait toujours davantage du Manège, du cher objet livré là-bas à tant de périls. « Les gendarmes ! Nous sommes sauvés ! » s’écria Villers, détournant la pique d’un sans-culotte et renversant celui-ci d’un coup de crosse. Un peloton de gendarmerie arrivait, effectivement, au trot, sabre en main, pistolet au poing gauche. « Balaie-moi cette racaille, Renault ! lança le major à l’officier qui commandait le peloton. Tu arrives à…» Il n’en dit pas davantage, son ancien camarade venait de lui faire sauter la cervelle. C’était la fin, cette fois.
    « Sauve qui peut ! » cria Pierre de Segret. Ils restaient debout cinq ou six. Ils s’égaillèrent vers la Seine, avec des crochets pour échapper aux cavaliers. Le malheureux blondin pensait encore que s’il réussissait à traverser l’eau il pourrait revenir. Aurait-il la force de nager jusqu’à l’autre rive ? Ses jambes tremblaient d’épuisement. Son cœur cognait. L’air lui brûlait les poumons, des sifflements lui remplissaient les oreilles. Il ne se rendait pas compte qu’il avait atteint l’angle de la terrasse, et que de là on le tirait comme un lièvre. Un choc dans le dos le jeta sur le sol. Il n’en sentit pas le rude contact. Il lui semblait glisser dans quelque chose d’infiniment doux qui le portait. L’eau. Il l’avait donc atteinte ! Il croyait nager. Il mourut avec un grand soupir d’amour. Dans le même temps, rue Saint-Florentin, des gens charitables recueillaient M. de Vioménil ainsi que plusieurs blessés, et les soustrayaient aux recherches des patrouilles. Rue Royale, vingt-trois Suisses étaient massacrés dans la cour du garde-meuble. Le concierge en sauvait quatre autres et un page de la Reine en les cachant dans une cave. Forestier de Saint-Venant réussissait, avec quelques survivants de ses compagnons, à gagner les Champs-Elysées où certains s’échappaient en se coulant de jardin en jardin. Saint-Venant lui-même, épuisé après avoir combattu jusqu’à l’avenue des Tuileries, franchissait le fossé et la palissade d’une clôture, lorsqu’un des gendarmes à cheval qui le poursuivaient le cloua là d’un coup dans les reins.
    Weber était arrivé au Manège avec les quelques hommes séparés du peloton de Segret. Il gagna, par la cour des Feuillants, la rue Saint-Honoré et se disposait à rentrer à son domicile, rue Sainte-Anne, lorsque deux inconnus, passant près de lui, lui glissèrent en regardant du côté opposé : « On vous cherche. » Il s’empressa de se faufiler dans l’hôtel de Choiseul pour y dépouiller son uniforme avant de se mettre en quête d’un asile plus sûr.
    Le grand ami de Segret, Charles d’Autichamp, qui l’avait quitté au début de l’attaque pour aller tenir la galerie du Louvre, était sorti de celle-ci sans le moindre dommage, comme tous ses défenseurs, au demeurant peu nombreux, en la suivant jusqu’au bout et en descendant par l’escalier de Catherine de Médicis. Ils débouchèrent dans un recoin désert, plein d’ombre, où, n’eussent été le tumulte environnant qui leur parvenait par-dessus les murs et les toits, et l’odeur de la poudre, on se serait cru bien loin d’une bataille. Ils se séparèrent sur-le-champ pour rejoindre en ordre dispersé Leurs Majestés au Manège. Tous portaient habit civil, rien ne les désignait à l’attention. Ils avaient eu soin d’essuyer les traces laissées sur leur joue droite par les jets du bassinet tandis qu’ils

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