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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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faisaient le coup de feu aux fenêtres de la galerie. Mais efface-t-on la mine, un certain air aristocrate ?
    Comme, de ruelle en ruelle, Charles d’Autichamp atteignait la rue Saint-Honoré grouillante et tumultueuse, des cris s’élevèrent : « Un chevalier du poignard ! Un Autrichien ! À mort ! À la lanterne ! » Du pouce, il releva les chiens des pistolets qu’il tenait dans ses poches, les sortit brusquement, et, à bout portant, abattit deux fédérés bretons trop pressés de lui mettre la main dessus. Aussitôt une meute se jeta sur lui, sans le blesser néanmoins. On se contenta de le tenir solidement et de l’entraîner vers la Grève pour y subir, dit quelqu’un, la justice du peuple. D’autres prisonniers étaient conduits ainsi sur la place fourmillante de sans-culottes, de gardes nationaux, de curieux, mêlés à une populace qui hurlait à la mort. Sous le soleil de onze heures rôtissant la place serrée entre l’Hôtel de ville et les façades qui se renvoyaient la chaleur et les échos, c’était une fournaise, un vacarme, un tohu-bohu d’enfer. Ici, on pendait à la lanterne ou l’on assommait des « Autrichiens » ; là, on égorgeait à la pique, au sabre, une compagnie de soixante Suisses qui n’avaient point participé au combat et que l’on avait arrêtés au moment où, le fusil sur l’épaule, ils se retiraient avec leurs officiers pour regagner leur caserne, à Courbevoie. Mettant à profit la presse et ses remous, Charles d’Autichamp dégagea soudain son bras droit, arracha la baïonnette du garde national qui le tenait au collet et la lui enfonça dans la poitrine. Libéré, il bondit, se creusa une trouée à coups de poings, de tête et de baïonnette, vit une porte ouverte, s’y engouffra tout en perçant la gorge d’un de ses poursuivants dont le corps arrêta les autres un instant, grimpa l’escalier quatre à quatre, enfonça la porte d’un grenier, sauta de toit en toit, se coula par une lucarne, redescendit en mettant de l’ordre dans son costume, traversa une cour vide. Avec un air des plus tranquilles, il déboucha dans la petite rue de l’Épine où nul ne fit attention à lui.
    De l’autre côté, à l’Hôtel de ville, Danton se souciait peu de ce qui se passait sur la place. Débraillé, suant, ses gros traits boursouflés par l’insomnie, il éperonnait le nouveau Conseil communal, il expédiait message sur message au Manège afin que l’on exigeât la déchéance immédiate du Roi et la réunion de cette Convention nationale dont Robespierre, depuis plusieurs semaines, soutenait l’idée, aux Jacobins. Sur la longue table devant laquelle certains municipaux, abrutis d’épuisement et de chaleur, dormaient un instant, la tête sur leurs bras croisés, des pains, des bouteilles, de la charcuterie, que l’on avait fait quérir, voisinaient avec les papiers, les plumes, les encriers, une paire de pistolets à présent inutiles. Desmoulins, levé à huit heures, était venu retrouver son « chef de file », laissant leurs femmes ensemble dans le petit appartement de la place du Théâtre-Français. Dubon, que la canonnade avait tiré du lit, était là aussi depuis un peu plus d’une heure. Il remplaçait Huguenin, délégué par la Commune au corps législatif, formait des groupes de pétitionnaires et les dirigeait sur l’Assemblée pour appuyer les efforts de Danton.
    Ces groupes se suivaient à la barre du Manège où le désordre s’était intensifié tout en changeant de nature. On ne craignait plus un assaut, mais la pression populaire se faisait d’instant en instant plus forte. Le public avait tout envahi. On voyait, pêle-mêle avec les Brissotins sur les banquettes vertes, des clubistes, des membres des sociétés fraternelles, des sectionnaires en carmagnole, des ouvriers, des bourgeois patriotes. En dépit des huissiers et des inspecteurs de la salle, impuissants devant ce flux, ils occupaient les places des monarchistes absents. Ils parlaient haut, gesticulaient, apostrophaient les députés ou les approuvaient, se levaient avec eux pour prêter serment de ceci ou cela. On ne savait plus trop ce que l’on jurait : de mourir pour la liberté, de sauver la patrie, de respecter les Suisses et les gentilshommes survivants qui étaient parvenus au Manège et que l’Assemblée mettait sous la sauvegarde de la nation. On s’enfiévrait en ruisselant, on respirait un air électrisé, au milieu des clameurs, des

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