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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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ce matin, tu ne penserais pas…
    — Mon ami, je ne pense rien de cette sorte. Ne sois donc pas si susceptible. Ce n’est pas pour toi que je parle. »
    Ils atteignaient le quai Pelletier où, sous la levée, des pêcheurs, à l’ombre des maisons du pont Notre-Dame, surveillaient leur bouchon comme si rien d’extraordinaire ne se fût produit. Sur la Grève, passaient des municipaux, des sectionnaires, tous l’air affairé. Un bataillon du faubourg Saint-Antoine, en pantalon rayé, montait la garde. La grande foule avait déserté la place pour courir au spectacle des Tuileries. Une file de tombereaux vides débouchait par l’arche Saint-Jean, tandis qu’arrivait de la rive gauche un cortège débraillé, conduit par un violoneux, deux fifres et un gamin jouant du tambour. Derrière eux, juché sur les épaules d’un garde national et d’un ouvrier, venait en triomphe Marat, le col ouvert, une couronne de lauriers sur sa calotte de cheveux très noirs. « Vive le courageux prophète ! » s’écria Fabre, et, avec un coup de coude à Claude : « Que te disais-je ! En voilà un hors de sa cave. » Survenu plus discrètement, Robespierre était dans la salle du Conseil général. Pétion aussi. L’affichage du décret annonçant la suspension du Roi semblait avoir agi comme un signal.
    Au milieu des sans-culottes pour la plupart défaits de lassitude et de chaleur, et dont certains portaient encore les traces du combat, Robespierre, en léger habit de nankin, la chevelure poudrée à blanc, cravate et manchettes fraîches, parlait de la nécessité d’élargir la Commune pour en faire la représentation de toutes les forces patriotiques, l’interprète de la volonté nationale. Dubon donnait des instructions à quelques commissaires chargés de procéder, avec les tombereaux, à l’enlèvement des victimes. Dans la mesure du possible, il faudrait rendre les corps des patriotes à leurs familles. Quant aux autres, les enterrer en vrac. Mais où ? Dans aucun cimetière de Paris, il n’y avait la place de déverser mille cadavres. « Pourquoi ne pas les mettre, dit Manuel, dans le terrain acheté par la Commune aux ci-devant religieux de la Ville-l’Évêque, entre la Madeleine et l’hôtel de Soyecourt ? Il n’y aurait qu’à creuser une fosse et à couvrir les corps de chaux vive. » Panis se chargea de la chose. Comme lui, beaucoup des précédents administrateurs faisaient partie du nouveau conseil. Ils protestaient contre l’intention émise par l’Assemblée, dans son décret, d’installer le Roi au Luxembourg. Autant lui donner tout de suite la clef des champs et le laisser courir au-devant de l’armée autrichienne ! Ces provinciaux de l’Assemblée ignoraient évidemment que le palais communiquait avec les Catacombes, par lesquelles la famille royale n’aurait aucune peine à s’enfuir ! La salle bourdonnait de discussions. Des pétitionnaires partaient en groupe pour aller demander au corps législatif que le soin de loger le Roi fût remis à la Commune. D’autres arrivaient des sections. Des poings tapaient sur la table, on réclamait l’arrestation de toutes les personnes suspectes d’avoir trempé dans le complot contre la nation. La Haute-Cour d’Orléans n’était qu’une pantalonnade, il fallait un tribunal de vrais patriotes pour juger les alliés de l’Autriche, il fallait fouiller les demeures des suspects, traquer la contre-révolution. Quelqu’un s’écriait : « Tous les décrets suspendus par le veto doivent être exécutés : le camp sous Paris, la déportation des prêtres. » Des voix exigeaient que la Convention nationale chargée de statuer sur le sort de Louis XVI fût élue au suffrage universel et démocratique. Une autre proposait de proclamer l’année présente an I er de la liberté.
    Claude se sentit enlacé par des bras puissants. « Eh bien, mon ami, lui demanda Danton, ai-je bien travaillé ? Es-tu content ? » Il n’eut pas le temps de répondre, on lui arrachait – on s’arrachait – le grand homme. Westermann noir de poudre, Santerre, son chapeau cabossé, ses épaulettes pendantes, son uniforme tailladé, Brune, Legendre guère moins déchirés, tous les vainqueurs revenant au quartier général serraient Danton sur leur poitrine. Ils s’étaient efforcés de rétablir l’ordre après le combat. Ils avaient préservé les dames de la Cour qui fuyaient de pièce en pièce, au Château. Pas une seule de blessée ou

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