Les autels de la peur
détonations, du tapage orageux qui arrivaient par les fenêtres. Toute l’agitation du dehors se répercutait ici et s’exaspérait dans cette atmosphère surchauffée. Tantôt on vibrait d’indignation, tantôt on fondait d’attendrissement. Des hommes du peuple, les bras nus, la figure noircie par la poudre, les mains sanglantes, se forçaient un passage pour venir, aux applaudissements des tribunes et des galeries où l’on s’écrasait, accabler de leurs récits la Cour qui avait attiré les citoyens dans le pavillon de l’Horloge pour les exterminer. D’aucuns montraient leurs blessures. L’un d’eux, découvrant sa poitrine où de la pourpre poissait une toison noire, s’écriait : « C’est cette Cour perfide qui a fait couler ce sang. C’est ce roi parricide. Ses soldats n’étaient que les instruments de sa trahison. Du moment qu’ils ont mis bas les armes, nous ne voulons plus voir en eux que des frères », ajouta-t-il en embrassant un Suisse qu’il avait pris par la main et dans les bras duquel il tomba en faiblesse. Ranimé, il déclara encore : « Je demande que l’Assemblée me permette d’emmener ce malheureux Suisse chez moi, je veux le loger et le nourrir. Voilà la vengeance d’un patriote français. » Les commissaires chargés d’apaiser la population et d’arrêter les massacres avaient pu partir. Des combattants entraient, apportant des objets d’or ou d’argent, des bijoux, du numéraire saisis au Château, des portefeuilles, des papiers, des lettres trouvés dans les appartements de la famille royale, et les déposaient sur le bureau du président. Ils furent confiés à la Commune, sous la responsabilité d’Huguenin.
Le canon s’était tu après onze heures. Les coups de feu espacés que l’on entendait encore çà et là cessèrent à leur tour. On n’en perçut que mieux les cris de la foule tout autour du Manège. Elle clamait : « À bas le Roi ! Déchéance ! » Les pétitionnaires en sueur se succédaient à la barre, réclamaient aussi la échéance, voire la mort du Roi. Un groupe déclara : « Représentants, soyez fermes ! Vous avez l’obligation de nous sauver. Jurez que vous sauverez l’empire. » Un autre exigeait justice de la grande trahison : « Le feu est aux Tuileries, nous ne l’arrêterons qu’une fois satisfaite la vengeance du peuple. Il nous faut la déchéance. » Guadet, dont l’élégance pâtissait de la chaleur et de la fièvre, remplaçait au fauteuil Vergniaud qui venait de se retirer avec les membres de la commission des Douze, pour préparer une motion. Les huissiers ne leur avaient pas sans peine frayé un chemin jusqu’au proche bureau du président, et là ils voyaient dans le jardin conventuel, entre le cloître, le corridor de planches et leurs propres fenêtres, bouillonner la foule. Ils délibéraient en hâte au bruit de sa colère.
Dans la loge du logographe, au fond de laquelle les gentilshommes accueillis par l’Assemblée s’étaient réunis aux quelques députés monarchistes pour protéger la famille royale, Louis XVI, avec un étrange détachement, observait la salle. Les injures, les menaces glissaient sur lui. Aidant d’une lunette ses yeux myopes, il examinait le président, cherchait les représentants dont il connaissait la figure et les nommait à son fils pour le distraire. Par moments, il se penchait pour s’entretenir avec le député Coustard assis juste au-dessous de lui. Marie-Antoinette contemplait les dépouilles que l’on apportait du Château : ces témoins et ces vestiges d’une intimité violée, étalée là sur le bureau à tapis vert, ces papiers, ces lettres où l’on trouverait inévitablement les preuves d’un esprit contre-révolutionnaire. Mais les écrits les plus compromettants se trouvaient dans l’armoire de fer façonnée par Louis lui-même et cachée dans le mur du petit couloir, près de la chambre du Dauphin. On ne l’avait pas découverte, on ne la découvrirait pas. Gamain, le compagnon du Roi, qui l’avait aidé à ménager cette cachette, ne trahirait point le secret. Ce que pouvaient décréter ces misérables fous était sans importance, il fallait endurer tout cela quelques jours encore. Survivre. Sous peu, François et Frédéric-Guillaume seraient ici avec leurs armées. La salle lui soufflait au visage des bouffées brûlantes. On étouffait, dans cette loge. Malgré la suffocation, la fatigue, le bouleversement de son âme, la Reine
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