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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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répandant une odeur de sueur et de vin : « Des scélérats de réfractaires. La Commune les envoie à la justice du peuple. » Autour des fiacres, on clamait-: « Voilà vos ennemis ! Voilà les traîtres qui ont livré Verdun. Voilà ceux qui allaient égorger vos femmes et vos enfants dès que vous seriez partis ! Allons, aidez-nous, tuez-les ! » Loin d’obéir, le peuple cherchait plutôt à s’écarter. « Tirons-nous de là, ma bonne, dit Nicolas. Ça prend mauvaise tournure. »
    Ils se mirent à jouer des coudes, s’efforçant de gagner la rue Saint-Benoît, quand une exclamation d’horreur, un reflux, les immobilisèrent. Une espèce de fédéré, grimpé sur le marchepied de la première voiture, avait plongé son sabre à l’intérieur et l’en retirait tout sanglant. Agitant la lame blanche où glissaient des coulées écarlates, il apostropha les curieux : « Vous reculez, lâches ! Ça vous fait peur ? Eh bien, tenez, apprivoisez-vous avec la mort ! » et il enfonça de nouveau son arme dans le fiacre d’où montaient des cris sourds. Margot et Nicolas restaient pétrifiés. Le petit marchand bondit de terreur en se sentant saisir par le bras. Une voix connue le rassura aussitôt. C’était celle d’un de ses familiers : François Pépin, colporteur de petites merceries, qui lui disait : « Te voilà, mon ami. Veux-tu venir avec moi ? J’ai bonne envie de suivre ces voitures, ça va chauffer, m’est avis. Il nous faut voir ça.
    — Tu crois ? » répondit Nicolas encore ému. Déjà cependant la curiosité luttait en lui contre l’effroi. Et puis la compagnie de Pépin, gaillard solide et déterminé, l’encourageait notablement. « Bon, décida-t-il. Allons-y.
    — Moi, je m’en vais, déclara Margot. Je ne resterai pas ici un instant de plus. Quelle horreur !
    — C’est cela, cousine, retournez à la boutique. Passez par la rue du Colombier, là vous ne risquerez rien. Et tranquillisez ma bonne femme », ajouta-t-il en suivant François Pépin.
    Précédant les fiacres, le colporteur et le mercier, auquel son compagnon frayait un chemin avec ses larges épaules, traversèrent la rue Sainte-Marguerite, se faufilèrent dans le passage du même nom, encombré de curieux, de sectionnaires. En suivant la venelle ombreuse qui longeait le flanc de l’église entre des bâtiments et de hauts immeubles à boutiques, où tous les habitants étaient aux fenêtres, ils entrèrent par la grille dans la cour de l’Abbaye, elle-même pleine de monde. Des maisons de rapport l’entouraient, encadrant le clocher occidental, ses deux contreforts et sa façade plate, fruste, que le soleil commençait d’éclairer en plein. Dans la bande d’ombre, au pied des maisons, les deux amis grimpèrent, pour bien voir, sur un petit talus où se tenaient des hommes, des femmes, des gamins en guenilles. Ceux-ci se mirent à brailler : « Les voilà, les voilà ! » Les voitures arrivaient, en effet. Elles entrèrent dans la cour, toujours environnées de patriotes criant, brandissant piques et sabres. Elles allaient lentement, mais ne s’arrêtèrent pas. Elles se dirigèrent vers la voûte charretière par laquelle on accédait à la Grand-cour : trajet bien connu de Nicolas comme de tous les habitants du quartier, car le comité de la section Quatre-Nations siégeait là, dans l’ancien bâtiment des hôtes. Cette haute construction à trois étages, fermant le cloître, flanquait le massif du clocher. Elle servait de fond à la Grand-cour, bordée, elle aussi, par des maisons de rapport et communiquant par une grille avec le jardin qui en formait tout un côté.
    « On conduit donc les prisonniers au comité ! observa François Pépin. C’est bien curieux. Viens ! »
    Tous les spectateurs descendaient à la fois du talus. Cela fit une bousculade où les deux amis perdirent de vue ce qui se passait. Un cri affreux le leur apprit : un cri sitôt couvert par des applaudissements, des rugissements de joie. « C’est un des prisonniers qui a voulu se sauver », annonça une maritorne en caraco. « On l’a tué, ce scélérat ! » Bouleversé mais avide néanmoins de se rendre compte, Nicolas suivit Pépin sous la voûte charretière et pénétra dans la Grand-Cour. Les voitures, laissant derrière elles des traînées rouges, s’arrêtèrent devant la porte du comité, au grand soleil. La foule se pressait autour. Elle applaudissait des hommes – dont certains

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