Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
Vom Netzwerk:
« Tu sais, si tu veux t’y mettre, tu n’as qu’à en prendre une.
    — Merci bien, merci bien. Je craindrais de ne pas savoir m’en servir. Je n’ai pas ta force. Tu es un gaillard, toi, citoyen.
    — Il faut l’être, afin d’exterminer tous nos ennemis. En voilà encore un. »
    On amenait en effet vers les tables une autre victime. Le sans-culotte se hâta d’aller poursuivre sa besogne, et Nicolas de fuir une sympathie qui commençait de devenir redoutable. Il se faufila entre les groupes, où il reconnaissait çà et là des gens : bons petits bourgeois comme lui. Il aperçut même une veuve, demeurant en face de la rue de l’Échaudé, qui s’était trouvée mal, un jour, devant chez lui, pour un chien écrasé. Ici, elle ne frémissait pas. Un homme en habit brun, portant l’écharpe municipale, montait sur une chaise. « C’est Billaud-Varenne », dit-on. Il se mit à haranguer les travailleurs. Nicolas essaya de s’avancer pour entendre. Il ne comprit qu’une phrase : « Peuple, tu immoles tes ennemis, tu fais ton devoir. » Après quoi, l’orateur disparut très vite. En tout cas, la Commune approuvait ces massacres. Il fallait donc bien croire qu’ils étaient nécessaires. Eh ! assurément, si Verdun était au pouvoir des Allemands, s’ils marchaient sur Paris !… Mais tout de même, égorger comme ça des chrétiens !
    Nicolas regagna la rue Sainte-Marguerite, croisant des massacreurs qui entraînaient vers la Grand-cour des victimes déjà sanglantes. On en achevait sur place. Les plaintes des blessés, les râles des mourants alternaient avec les cris de « Vive la nation ». Dans la rue, une foule entourait à distance la porte de la prison proprement dite : une étroite ouverture entre deux tourelles collées à la muraille grise. Une troupe armée de sabres gardait cette issue, et, dans le vide laissé autour, des cadavres – surtout des officiers suisses, reconnaissables à leur uniforme rouge – s’entassaient parmi des flaques de sang. Nicolas entendit clamer : « À La Force, à La Force ! » Les tueurs se resserrèrent devant l’entrée en levant leurs armes d’où dégouttait la pourpre. Un homme d’une cinquantaine d’années, en habit tabac, apparut, livide, dans l’ouverture sombre de la porte. On le poussait par-derrière. Il fit un pas et les lames s’abattirent. Dans un soudain et singulier silence, on entendit le bruit atroce des sabres, la voix du malheureux qui demandait grâce. Il essayait de se protéger la tête avec ses mains, ses bras, que les coups tailladaient. Inondé de sang, il s’obstinait à ne point mourir. Il hurlait, debout, titubant. Enfin, il tomba et sa chute fut saluée par l’acclamation ordinaire : « Vive la nation ! »
    Encore que le brave mercier commençât de se familiariser avec l’horreur, il trouva celle-ci trop forte pour lui et s’éloigna en longeant la prison. Comme il arrivait presque au bout de la rue, plusieurs visages anxieux lui apparurent derrière des barreaux, à la fenêtre d’une tourelle. Il allait s’approcher, lorsqu’on lui chuchota : « Ne va pas plus loin, ce sont des ennemis du peuple. Si tu leur parlais, tu pourrais bien partager leur sort. » Il se retourna, stupéfait en reconnaissant son tueur de la Grand-cour. Tout maculé de taches gluantes, il paraissait las. « Oui, c’est moi, dit-il. J’en ai mon soûl de ce métier. Il fallait le faire, sans doute, mais ça finira mal. Il me semble que je respire du sang. Je m’en vais.
    — Tu as changé bien vite de sentiment. Et M me  Adèle ?
    — Justement, je lui éviterai de venir. Quant à toi, Vinchon, mon ami, si tu veux m’en croire, retourne donc rue de Seine et tiens-toi tranquille dans ta boutique.
    — Quoi ! tu me connais ?
    — Parbleu oui, je suis même un peu ton cousin. Là-dessus, bonsoir. Je ne tiens pas à t’en dire plus long. » Il s’éloigna et disparut dans la foule, laissant son « cousin » perplexe. Celui-ci toutefois ne s’attarda point à ses pensées, car il entendit des badauds annoncer que l’on massacrait aussi aux Carmes et qu’il fallait aller voir. Toujours dominé par sa curiosité, Nicolas les suivit. Il voulait savoir si les choses se passaient là comme à Saint-Germain.
    En arrivant au carrefour de la Croix-Rouge où se dressait également un théâtre assailli par des volontaires, il se sentit fatigué. On était à présent pas loin des cinq heures, cela en

Weitere Kostenlose Bücher