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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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faisait bien trois qu’il marchait ou restait debout. Abandonnant ses compagnons, il entra dans un cabaret pour s’asseoir un moment et se rafraîchir. Il se laissa tomber sur une chaise, étendit ses jambes lourdes, commanda un verre de clairet. À la table voisine, un sans-culotte pérorait. Nicolas se souvint d’avoir vu cette figure au nez épais, au menton creusé d’une fossette, parmi la troupe du charcutier Hacqueville. L’homme semblait fier de lui. « Pour ma part, j’en ai mis douze par terre, disait-il. Si tous les bons bougres en faisaient autant, nous serions bientôt débarrassés des maudits aristocrates qui complotent contre le peuple. » Il ajouta : « Au demeurant, nous n’avons été que les instruments de la loi, puisque le tribunal installé par le brave Maillard, dans le guichet de la prison, a condamné ces gredins. Quant aux innocents reconnus par le tribunal, on les a reçus comme des frères. »
    Effectivement, Maillard avait fait de son mieux pour se conformer aux instructions données par Claude, la nuit précédente. Cela ne s’était pas accompli sans peine. En arrivant à l’Abbaye, Maillard et sa troupe avaient trouvé devant la prison une populace furieuse qui réclamait les officiers suisses et menaçait d’enfoncer la porte. Outre les suspects transférés de la mairie, on tuait déjà, dans la Grand-cour, les prêtres tirés d’une des chapelles et du réfectoire devenus lieux de détention. Le comité de la section Quatre-Nations, qui siégeait là, ayant reçu ses ordres et ses listes, c’était son affaire de protéger les gens à lui désignés par le Comité de surveillance. Maillard décida donc d’opérer à la prison. Il mit en avant un des siens : Bouvier, compagnon chapelier, sans-culotte notoire, de surcroît bon orateur populaire. « Mes camarades, mes amis, dit-il à la foule, votre ressentiment est juste. Nous sommes tous d’accord là-dessus : guerre ouverte aux ennemis du bien public, ni trêve ni ménagement, il faut qu’ils périssent. Mais, si vous êtes bons citoyens, vous devez vouloir la justice. Il n’est pas un de vous, j’en suis assuré, qui ne repousse l’idée affreuse de tremper ses mains dans le sang de l’innocence.
    — Oui, oui, répondit le peuple.
    — Eh bien, quand vous allez, sans rien entendre, sans rien examiner, vous jeter comme des tigres en fureur sur des hommes qui sont vos frères, ne vous exposez-vous pas au regret désespérant d’avoir frappé l’innocent comme le coupable ? Je vous demande…
    — Eh, dites donc, monsieur le citoyen, l’interrompit un sectionnaire armé d’un sabre sanglant, est-ce que vous voulez nous endormir ? Si les sacrés gueux de Prussiens et d’Autrichiens étaient à Paris, ne frapperaient-ils pas à tort et à travers, comme les Suisses du 10 août ? Ont-ils cherché les innocents, eux ? Moi je ne suis pas un orateur, je n’endors personne ! Je suis père de famille, j’ai une femme, cinq enfants. Je veux bien les laisser ici à la garde de la section, pour aller combattre l’ennemi, mais je n’entends pas que pendant ce temps ils soient égorgés par les scélérats enfermés dans cette prison, auxquels d’autres scélérats ouvriront les portes. Au reste, il n’y a qu’à les faire sortir. Nous leur donnerons des armes et nous les combattrons à nombre égal. Mourir ici, mourir aux frontières, je n’en serai pas moins tué par des gueux, et je leur vendrai chèrement ma vie, mais soit par moi soit par d’autres, la prison sera purgée de ces maudits brigands.
    — Il a raison ! s’écria-t-on. Point de grâce, il faut entrer.
    — Un moment, citoyens, écoutez-moi, dit Bouvier. Vous savez que le procès des prisonniers n’a pas été instruit, il y a nécessairement des innocents parmi eux. Prenons le livre des écrous, il nous donnera tous les renseignements. On pourra punir les scélérats sans manquer à la justice. Formez un tribunal, le président lira l’écrou en présence de chaque détenu, puis il recueillera les avis et prononcera. »
    La proposition plaisait au peuple. On entendait de toutes parts : « Oui, oui, c’est juste. Fort bien. Bravo. Un tribunal. » Les hommes de Maillard lancèrent alors son nom et la foule répondit : « Oui, monsieur Maillard, le citoyen Maillard, président ! C’est un brave homme. Monsieur Maillard, président ! » Il s’avança, très grand, en habit gris, un sabre au côté, avec sa longue

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