Les autels de la peur
sonnette. « La parole est à M. le Garde des sceaux », annonça-t-il.
Énorme dans son habit écarlate, une expression paisible sur son mufle, Danton s’appuyait des deux mains à la tablette. Il lança doucement cette phrase qui chanta dans le silence et stupéfia Claude : « Il est bien satisfaisant, messieurs, pour les ministres du peuple libre, d’avoir à lui annoncer que la patrie va être sauvée. » Avec ces cinq derniers mots, il avait saisi son auditoire. Il lui donna le temps de palpiter, et reprit en s’animant, en ouvrant peu à peu les grands registres de sa voix : « Tout s’émeut, tout s’ébranle, tout brûle de combattre. Vous savez que Verdun n’est point encore au pouvoir des ennemis. Vous savez que la garnison a promis d’immoler le premier qui proposerait de se rendre. Une partie du peuple va se porter aux frontières, une autre va creuser des retranchements, et la troisième, avec des piques, défendra l’intérieur de nos villes. Paris va seconder ces grands efforts. Les commissaires de la Commune proclament sur les places, d’une manière solennelle, l’invitation aux citoyens de s’armer et de marcher pour la défense de la patrie. C’est en ce moment, messieurs, que vous pouvez déclarer que la capitale a bien mérité de la France entière. C’est en ce moment que l’Assemblée nationale va devenir un véritable comité de guerre. Nous demandons que vous concouriez avec nous à diriger ce mouvement sublime du peuple en nommant des commissaires qui nous seconderont dans ces grandes mesures. Nous demandons que quiconque refusera de servir de sa personne ou de remettre ses armes soit puni de mort. De même, tous ceux qui refuseraient d’exécuter ou entraveraient, de quelque manière que ce soit, les ordres donnés ou les mesures prises par le pouvoir exécutif. Vous entendez le tocsin, ajouta-t-il. Ce n’est point un signal d’alarme, c’est la charge sur les ennemis de la patrie. Pour les vaincre, messieurs, que nous faut-il ? De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, et la France est sauvée. »
À plusieurs reprises, des applaudissements avaient accueilli les déclarations de l’orateur. Sa péroraison inspirée électrisa et transporta l’Assemblée. Une acclamation immense remplit le long vaisseau. Claude, d’abord étonné, puis déçu – car, au fond, il n’y avait eu rien que du vent dans la plus grande partie de ce discours – puis bouleversé par les dernières phrases, battait des mains, debout comme les députés. Il lui semblait voir en Danton un tribun du peuple haranguant les Romains sur le Forum, pour les exciter à voler au secours de la patrie.
Déjà Delacroix transformait en propositions de décrets les terribles requêtes du ministre. Des amis, des admirateurs se précipitaient pour le recevoir à la descente de la tribune. Choudieu, s’avançant vers Gabrielle-Antoinette que Claude amenait, s’écria : « Croyez-vous qu’il a été beau, votre mari ! Jamais il n’avait eu pareil mouvement.
— Quel artiste ! » s’exclama Fabre.
La jeune femme, étourdie, semblait partagée entre la fierté et une confuse frayeur. Danton vint à elle, l’embrassa, la serra sur sa poitrine. La confiant à Fabre et Desmoulins, il entraîna Claude : « Viens, dit-il, allons au Champ de Mars enflammer les citoyens. » Vergniaud l’arrêta. « Vous avez été sublime, Danton.
— Merci. À présent c’est au peuple qu’il faut parler. Allons ! » Il était deux heures. À la Commune, le Conseil général venait de suspendre sa séance, car on n’avait pas encore dîné. Il ne restait à l’Hôtel de ville que le Comité militaire, et à la mairie que celui de surveillance. Le Comité militaire, récemment formé, se composait de Michonis, Dubon, Marcenet, J. -B. Vincent et quatre autres membres. Ils s’affairaient, depuis le retour de Dubon, à dresser, d’après les listes fournies par chaque section, un état des hommes armés, prêts à partir. Au Comité de surveillance, de l’autre côté de l’eau, Panis saisit l’occasion que lui offraient d’une part l’absence de Sergent, de Claude, de Billaud-Varenne, d’autre part la suspension momentanée du Conseil général, pour s’adjoindre de nouveaux commissaires, en invoquant l’urgence. La municipalité, influencée par Santerre et par Robespierre, l’avait autorisé à choisir trois membres de plus. Il les appela, prit avec eux un arrêté
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