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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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gardes nationaux de l’escorte – qui gesticulaient sur les marchepieds, enfonçaient à grands coups sabres et piques par les portières, arrachaient des fiacres les prisonniers, inondés d’écarlate, et les achevaient sur place. Perçant le tumulte, des cris de bête qu’on égorge nouaient les entrailles de Nicolas. Il ne distinguait pas grand-chose, mais n’avait plus guère envie de voir. À présent, il regrettait de n’être point parti avec Margot. Bien des badauds, venus comme lui par entraînement, et saisis d’horreur, s’empressaient de tirer au large. « Allons-nous-en, François », murmura-t-il. Puis il se figea : un des tueurs les avait avisés dans l’assistance éclaircie. La pique en main, la mine sinistre, il marchait sur eux. C’en était fait ! Ils allaient périr. Ô ! maudite curiosité !… Nicolas ouvrait la bouche pour demander grâce, lorsque l’horrible gaillard lui dit : « Tu es un bon bougre, toi, un vrai patriote. Veux-tu me rendre service ?
    — Bien volontiers, se hâta-t-il de répondre, retrouvant son souffle.
    — Eh bien alors, tu vas aller rue du Dragon. Dans la maison du cordonnier, sur la gauche, tu demanderas la citoyenne Adèle. Tu lui diras de m’apporter à manger ici, ce soir. »
    Sans s’interroger sur les raisons qui lui valaient, à lui spécialement, cette commission, et cette estime sinon flatteuse du moins rassurante, le mercier abandonna Pépin. Heureux de s’éloigner, il s’en fut chercher le logis de M me  Adèle. Dans les petites rues du quartier, tout était étonnamment tranquille. On eût dit un dimanche pareil à tous les beaux dimanches de fin d’été. Des citoyens que ni le tocsin, ni le canon d’alarme, ni les proclamations, les affiches, les bruits de complot n’avaient émus, buvaient dans les cabarets. Des couples se promenaient, des familles prenaient l’air sur le pas des portes. Dans son échoppe, le cordonnier indiqué tapait avec constance sur une semelle. Deux étages plus haut, M me  Adèle, ménagère agréable, fort proprement mise, n’évoquait en rien la femelle d’un égorgeur. Nicolas s’en retourna, pensif. Il en venait à douter de ce qu’il avait vu dans l’enclos Saint-Germain-des-Prés. Le besoin de vérifier les choses, en quelque sorte, l’aiguillonnait de nouveau. Au demeurant, il ne courait aucun risque, puisqu’il comptait dans la place un protecteur.
    L’aspect de la Grand-cour avait changé. Elle baignait presque tout entière dans l’ombre portée par les maisons. Il était maintenant quatre heures. Seul, le bâtiment des hôtes, où siégeait le comité, recevait encore la grande lumière. De même, sur le côté, le jardin, qui n’était pas bordé de constructions, lui, et dont on apercevait, à travers la grille du portail, les tilleuls, les planches potagères parmi leurs encadrements de gazon et d’arbustes. Les spectateurs moins nombreux formaient cercle autour de la cour. Au milieu se trouvaient les acteurs, certains assis à deux tables garnies de bouteilles, de verres. Par terre, des corps mutilés. Toute cette partie d’ombre prenait une apparence noyée où pourtant la réverbération accusait quelques couleurs : le blanc cru des chemises maculées de taches sombres, la lividité des cadavres, le sang vermeil sur l’acier des armes, noirâtre sur le sol. Parmi les buveurs, il y avait Hacqueville, le charcutier. Comme, du côté du soleil, deux sectionnaires amenaient un prêtre en le tenant sous les aisselles car il défaillait d’effroi, Nicolas vit son sans-culotte de la rue du Dragon s’avançant, la pique en main. Brusquement, il l’enfonça dans la poitrine du malheureux réfractaire dont le hurlement se perdit dans un cri général de « Vive la nation ! ». Le tueur appuyé sur son arme considéra fièrement le cercle qui l’applaudissait. Il avisa Nicolas, vint à lui. « As-tu fait ma commission ? » s’enquit-il en posant sa main toute sanglante sur le bras du petit mercier.
    « Oui, citoyen, répondit celui-ci qui sentait son cœur lui remonter à la gorge.
    — Merci, bon bougre. Ça l’amusera, mon Adèle, de me voir travailler. »
    Ces paroles n’étaient pas étonnantes : l’assistance comptait maintes femmes non moins aimables d’aspect que M me  Adèle. Elles aussi criaient « Vive la nation » et applaudissaient les travailleurs. « Tiens, bois un verre », dit le tueur, puis, montrant des piques posées contre la table :

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