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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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défendent la place ont juré de mourir plutôt que de se rendre. C’est vous dire que, quand ils vous font un rempart de leur corps, le devoir vous commande de voler à leur secours. Citoyens ! aujourd’hui même, à l’instant, que tous les amis de la liberté se rangent sous ses drapeaux. Allons nous réunir au Champ de Mars. Qu’une armée de soixante mille hommes se forme sans délai, et marchons aussitôt à l’ennemi, ou pour succomber sous ses coups ou pour l’exterminer sous les nôtres. »
    Des acclamations, des cris patriotiques répondirent, mais Nicolas murmurait à Margot : « Bah ! tout cela était déjà sur les affiches. L’armée de soixante mille hommes, il y a beau temps qu’on en parle, on ne la voit toujours point. » Pourtant, sur le théâtre, les volontaires défilaient sans cesse, au milieu des chants révolutionnaires et du cri de : « Vive la nation ! » Le commissaire municipal était parti plus loin. Des groupes débraillés et excités, qui devaient sortir des estaminets du voisinage, poussaient à travers la foule. Le charcutier Hacqueville, avec les principaux agitateurs de la section, menaient ces patriotes à tous crins, hommes et femmes, vers la rue Sainte-Marguerite que bordaient, d’une part, le marché Saint-Germain ouvrant sa porte monumentale en demi-rotonde à l’entrée de la rue du Four, et, d’autre part, les vastes bâtiments de l’Abbaye, dominés par les trois clochers de l’église, avec chacun ses quatre clochetons. « Tiens, remarqua Nicolas, voilà Françoise Miallon. » C’était une de ses clientes, habitant la section Mauconseil, une femme de quarante ans environ, épouse d’un maître cordonnier, elle-même marchande à la toilette, que Nicolas Vinchon connaissait pour passablement révolutionnaire. En octobre 89, il l’avait vue revenir de Versailles, avec l’huissier Maillard, dans les voitures de la Cour. « Parlons-lui, dit-il à Margot », et, s’inclinant fort bas : « Je vous salue bien, citoyenne. Ravi de vous voir toujours aussi plaisante », dit-il pour gagner ses bonnes grâces. Elle méritait d’ailleurs, dans une certaine mesure, ces termes galants. Un peu rouge, échauffée, elle n’était pas vilaine ni mal faite, dans sa robe à mille raies tricolores, au fichu écarté, qui laissait voir sous les fronces de la chemise en toile une gorgerette encore fermement remplie. « Pensez-vous, citoyenne, que l’ennemi arrivera jusqu’à Paris ? demandait Nicolas.
    — Non, répondit-elle, applaudie par ses compagnons. Nos braves sans-culottes vont voler au secours de nos frères de Verdun. S’ils n’arrivent pas à temps pour les empêcher de succomber, ils les vengeront. »
    Une habituée des assemblées de section ne pouvait tenir autre langage. Il ne signifiait pas grand-chose. Nicolas et Margot, n’eurent pas le loisir de questionner plus avant : une clameur montait, du côté de la Seine, s’enflait, approchait. Au carrefour, les cris, les chants s’étaient tus. On écoutait ce bruit fracassant qui emplit la rue Dauphine. Une foule en déboucha, s’étrangla dans l’étroite et tournante rue de Bussi dont elle battait les murs, puis se répandit en déferlant comme un mascaret dans le carrefour. Margot et Nicolas furent repoussés dans la rue Sainte-Marguerite, jusqu’à celle des Ciseaux. En face, l’enclos de l’Abbaye s’ouvrait par un court passage bordé de boutiques au fond duquel on voyait le portail de l’église. La prison, carrée avec des tourelles aux angles, était là, au bord de la rue.
    Bousculée, son bonnet de travers, la grosse Margot pestait. Nicolas essayait de comprendre ce que hurlaient les nouveaux venus. Il lui sembla entendre : « Verdun est pris ! » et : « À mort ! Tuez-les tous ! » Par-dessus les têtes, les poings levés, les armes qui brillaient au soleil, on apercevait, au milieu de la cohue avançant vers le monastère, les caisses de cinq ou six fiacres entourés de gardes nationaux. Dans la foule pressée, la marche se faisait de plus en plus lente, les cris de plus en plus furieux. Des sectionnaires, des fédérés que l’escorte n’essayait nullement de refouler s’accrochaient aux voitures. Ils ouvraient les portières. « C’est plein de prêtres, là-dedans », s’exclama Margot ébahie. « Oui, citoyenne », lui jeta un homme en corps de chemise, manches troussées, qui fonçait à coups d’épaules, brandissant sa pique et

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