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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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méfiance : « Mon bon monsieur, il se passe peut-être quelque chose à côté, car on a entendu effectivement des bruits étranges, sinon des coups de feu. Mais il y a en face tout un bataillon de soldats nationaux qui ne font pas mine de s’en soucier. Alors, pourquoi de paisibles citoyens s’en occuperaient-ils ? Ici, chacun s’en tient à ses propres affaires et à observer la loi. »
    Donc, c’était vrai : on devait expédier les prêtres enfermés là. Au contraire de l’Abbaye, cela s’exécutait à l’intérieur. Nicolas rôda encore autour de l’enclos. Tout ce qu’il vit, ce fut, par la serrure d’une poterne, des buffleteries croisées sur l’uniforme bleu d’un gendarme en faction là derrière. Inutile d’insister.
    En revenant vers la Croix-Rouge, il rencontra un chariot accompagné par quelques sectionnaires. Des femmes, des gamins, assis sur les ridelles, chantaient, riaient, lançaient des quolibets aux passants. Une scène de franche gaieté. Décidément, songea le brave mercier, tout est contraste, aujourd’hui : d’un côté la mort, de l’autre la vie jeune, joyeuse ! Il sourit à une jolie fille très blonde qui agitait gaiement vers lui une fleur. Soudain il frissonna. Cette fleur blanche et pourpre, Dieu ! c’était une main ! Une main fraîchement coupée. Les femmes, les enfants appuyés aux ridelles, se tenaient sur un tas de cadavres que l’on menait sans doute vers le charnier de Saint-Sulpice ou la campagne. Nicolas secoua la tête. Cette fois, il en avait assez des horreurs.
    Bien d’autres charrettes, à cette heure, emportaient ainsi à travers Paris les cadavres des malheureux que l’on massacrait non seulement à l’Abbaye, mais également au Châtelet, à la Conciergerie. C’est là, dans l’enceinte même du Palais de justice, à quelques pas du Comité de surveillance où siégeait Marat, que la boucherie, en ce moment, atteignait son comble. Dans la Grand-chambre de la Tournelle, le tribunal extraordinaire poursuivait le procès de Bachmann, le major des Suisses, dont le « parent » de Desmoulins, l’accusateur public Fouquier-Tinville, réclamait la tête. Par les fenêtres, on avait vu, au bruit du tocsin, des tambours, des canons d’alarme, une foule garnir les quais ensoleillés, s’amasser dans la tranchée d’ombre entre les maisons du Pont-au-Change, devant la tour de l’Horloge, à l’entrée de la rue de la Barillerie longeant la cour du Palais, dite aussi cour du Mai. Vers quatre heures et demie, on entendit une rumeur dans l’enceinte : le peuple, traversant les bâtiments qui bordaient sur la rue la cour du Mai, l’avait envahie. Le concierge du tribunal et deux garçons de bureau regardèrent par les fenêtres du corridor des Peintres, ils dirent qu’une agitation extraordinaire régnait en bas, dans le préau des hommes. La lourde grille donnant sur le couloir central de la prison était ouverte. Des gens à mines sinistres circulaient en armes, appelaient les détenus, emmenant de force ceux qui résistaient.
    Ici comme à l’Abbaye, les agents du Comité de surveillance avaient essayé d’établir un tribunal populaire. Il siégeait en plein air, au pied du grand perron, dans la cour du Mai bordée par la belle galerie ogivale sous laquelle s’alignaient les cachots. C’était devant ce tribunal que l’on menait les détenus. Malheureusement ses membres ne possédaient ni l’adresse ni surtout l’ascendant d’un Bouvier et d’un Maillard. Ils furent débordés par une horde qu’excitaient des furieux. Bousculant Richard, le concierge de la prison, et quelques gardes qui n’osèrent pas résister, ils se ruèrent à l’intérieur, armés de piques, de sabres, de haches, de coutelas, de barres de fer, forcèrent les grilles du quartier des femmes, se répandirent du couloir central dans le préau, dans les chambres où les prisonniers, affolés, se barricadaient en vain. Arrachés de là, on les entraînait ou bien on les tuait sur place. Partout, dans la cour, dans les cellules, dans le couloir, dans le préau, on égorgeait, on éventrait, on assommait. Avec les cris, le vacarme, une buée de carnage, une affreuse odeur de boucherie, montaient à l’étage, vers le public qui avait abandonné la Grand-chambre pour se presser aux fenêtres de la Tournelle. Les magistrats, eux, poursuivaient impassiblement leur audience. On entendait tour à tour les Suisses appelés en témoins au procès de leur major.

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