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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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côté ; vous serrerez sur elle en colonne étroite. Du côté gauche, vous vous couvrirez solidement par des flancs-gardes. La cavalerie éclairera la marche. Rappelez-vous bien qu’il nous faut absolument éviter l’ennemi. Notre devoir, aujourd’hui, n’est pas de combattre mais d’amener nos troupes au général en chef. Si, par malchance, une ou des compagnies, un ou des bataillons étaient surpris, ils devraient se sacrifier pour fixer l’adversaire tandis que le reste du corps d’armée poursuivrait sa route. » Le jeune général (il avait quarante ans) insista là-dessus et sur les précautions nécessaires pour ne point se signaler aux Autrichiens. Il ajouta : « Nous partirons un peu avant quatre heures du matin, de façon à profiter des brouillards de l’aube pour franchir la région la plus dangereuse. Prenez dès maintenant les dispositions avec vos officiers afin que l’on abatte les tentes à trois heures, mais gardez secrets mes ordres : il y a autour de nous, vous le savez, des gens qui n’hésiteraient point à dénoncer notre marche. »
    On leva le camp, en effet, entre trois et quatre heures. Le ciel était orageux, avec des nuages blafards qui diffusaient dans la nuit une vague clarté. On y voyait peu. Toutefois, dès que l’on eut rejoint la rivière dont les eaux luisaient confusément, il ne resta plus qu’à se laisser guider par elle. Les pluies des jours précédents avaient détrempé le terrain, on marchait dans la boue. Pour le moment, on était loin de la forêt, mais l’Aisne courait droit dessus dans la direction du Chêne Populeux. Puisque les on-dit locaux semblaient confirmés par le message du général en chef, c’est à partir des environs de ce défilé, et jusqu’après celui de la Croix-aux-Bois, que se situait la région particulièrement dangereuse. On l’atteignit à six heures du matin après avoir dépassé un petit bourg qui devait être Attigny. Les coqs commençaient de chanter, le jour livide se levait dans des brumes. Ici, l’Aisne s’infléchissait brusquement au sud pour couler dès lors parallèlement à la forêt d’Argonne. Bernard se rappelait très bien la carte. Selon les ordres, il fit prendre la disposition en colonne étroite, serrant vers la rivière, et il détacha sur la gauche une compagnie en flanc-garde. Il marchait à la tête du bataillon, avec Malinvaud. Ils voyaient devant eux les serre-files du bataillon précédent et tenaient l’œil sur les batteurs d’estrade qui couvraient la gauche. Au-delà, en avant comme sur le côté, on ne distinguait rien dans le petit jour cotonneux, sinon la silhouette de quelques genévriers, de maigres arbustes piquetant une lande où la ligne des gardes ressemblait à une procession sombre et fantomatique. Parfois cependant, entre deux bouchons de brume, on voyait la lande ou les pâtures se relever vers un horizon de hauteurs sablonneuses sur lesquelles croulait comme une chevelure l’opulente rousseur de la forêt.
    Le général avait bien calculé sa marche : plus le jour s’éclairait, plus la brume devenait dense. Après un temps de repos, on avança pendant deux heures dans un brouillard lumineux mais épais qui dissimulait tout et, en outre, étouffait les bruits. À cinq cents pas, nul n’aurait pu se douter que des milliers d’hommes, des chevaux, des canons, des voitures, se glissaient par là. On se guidait sans beaucoup de peine aux détours de la rivière.
    « Ma foi, c’est un fameux lapin, ce Beurnonville ! déclara Malinvaud, enchanté.
    — Tu as raison, mais ne crie pas trop tôt victoire, dit Bernard. Si je ne me trompe point sur notre allure, nous devons arriver maintenant en face de la Croix-aux-Bois. Les choses pourraient bien se gâter. »
    Comme pour confirmer ces paroles, à l’instant même une sorte de tumulte amorti par le brouillard se produisit sur la gauche dangereuse, et Bernard alors maudit cette ouate qui empêchait de voir, d’entendre, de lancer des ordres. Il allait faire passer par Malinvaud le mot de préparer les armes, lorsque des voix se rapprochèrent. Des silhouettes reconnaissables se précisaient : plusieurs hommes de la compagnie en flanc-garde. Le lieutenant les précédait. En saluant, il rendit compte : ils venaient de rencontrer des fuyards et les amenaient. C’était trois chasseurs et un fusilier légèrement blessé au bras. Ils appartenaient, dirent-ils, à un corps commandé par le général Chazot. La veille au

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