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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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bataillons. Les anciens soldats du camp de Maulde acclamaient leur général venu au-devant d’eux. Il se tenait à cheval au bord de la chaussée, avec Beurnonville à son côté, quelques officiers derrière eux. Bernard s’était imaginé ce Dumouriez, dont on parlait tant, comme un homme de grande taille, ou du moins puissant à la manière de Danton. Il vit un petit quinquagénaire maigriot, aux cheveux blancs, qui élevait et agitait son chapeau pour répondre à l’ovation. Sans doute y avait-il quelque chose de touchant dans cette familiarité, mais sa forme ne plut pas beaucoup à Bernard. Strictement militaire, il commanda : « Pas cadencé. Portez vos armes », puis, en arrivant à la hauteur du général : « Tête à gauche ! » et il salua de l’épée. À sa suite, les volontaires, redressés malgré la fatigue, le fusil dans le creux du bras, défilèrent comme à la parade.
    À mesure que les différents corps entraient au camp, défendu par les lignes d’une nombreuse artillerie, les officiers d’état-major désignaient à chacun sa position. On formait les faisceaux, posait le sac en peau de veau, dressait les tentes. Le général parcourait les bivouacs, se mêlant tout à fait à ses soldats des régiments à perruque. Ils lui témoignaient une affection et un enthousiasme semblables à l’idolâtrie que les premiers fédérés avaient montrée à La Fayette. S’arrachant non sans peine à leurs caresses, il visita les volontaires, dont Beurnonville lui présentait les états-majors un à un. Parvenu à Bernard : « Lieutenant-colonel Delmay, dit le général en chef, je suis bien aise de voir ici une troupe comme la vôtre.
    — Veuillez me pardonner, mon général, je commande ce bataillon avec le grade de capitaine, simplement, rectifia Bernard.
    — Pardonnez-moi à votre tour, mon camarade, dit Dumouriez avec un sourire affable, depuis tout à l’heure vous le commandez avec le grade attaché à cette fonction. Vous le méritez bien par la façon dont vous avez fait de vos recrues de vrais soldats, et pour l’état magnifique dans lequel vous me les amenez. Camarades, ajouta-t-il en élevant la voix pour se faire entendre de tout le bataillon groupé qui abandonnait tentes et marmites, je suis fier de mener au combat des hommes tels que vous. Vous venez de gagner une grande bataille, avec vos jambes. Nous allons ensemble en gagner une autre, avec nos bras. »
    Les volontaires éclatèrent en bravos et en acclamations. Assurément, s’avoua Bernard, le général en chef se montrait on ne peut plus habile. L’était-il autant envers l’ennemi ?… Juste à ce moment la réponse fut apportée à cette question. Deux officiers d’état-major accouraient. « Général ! s’exclama l’un d’eux.
    — Eh bien, Westermann, qu’y a-t-il ?
    — Général, l’armée prussienne en masse contourne la pointe de l’Argonne et se déploie sur les collines de la Lune, en face de nous, là, de l’autre côté de la Tourbe. »
    À l’instant même, un jeune aide de camp sautait de son cheval en sueur et, s’avançant, annonçait, le visage épanoui : « Monsieur, je précède le corps d’armée du général Kellermann. Il n’est plus qu’à deux heures de marche, sur la route de Vitry. » Dumouriez frappa du poing dans sa main : « Messieurs, dit-il d’une voix blanche, la France est sauvée. » C’était certainement pour lui un instant de triomphe, d’intense émotion. Bernard la partagea. L’armée ennemie, trompée par l’évacuation de Grandpré, venait donner dans le piège à l’heure même où la jonction de Beurnonville et de Kellermann avec le général en chef fermait le verrou. Dumouriez avait mené de main de maître cette immense manœuvre.
    Bernard mesura d’autant mieux le talent stratégique du personnage en examinant les lieux. Le corps Beurnonville occupait la droite ; les tentes du bataillon alignaient leurs rangées grises au pied d’un escarpement couronné par un château que tenaient plusieurs compagnies de chasseurs. En montant un peu sur ces pentes, Bernard eut une vue complète du camp. C’était un plateau élevé, large dans les deux sens d’une lieue carrée, environ. Face aux collines de la Lune où Westermann avait signalé l’apparition des Prussiens, ce plateau tombait à pic, coupé par une vallée étroite et profonde. L’ennemi devrait y descendre sous le feu et gravir ensuite un véritable glacis de

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