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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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amis de Claude qui avait demandé à Fabre de voir le capitaine Delmay. Fabre, faisant la navette entre Sainte-Menehould et Paris par la route de Vitry entièrement libre, se chargeait des lettres de Bernard à Claude et Lise, et de Lise et Claude à Bernard.
    En vérité, ces négociations paraissaient superflues sinon nuisibles aux intérêts de la République. Les Prussiens étaient vaincus maintenant. Ils avaient laissé le temps transformer un revers en défaite. Il suffisait de voir les chariots qui emmenaient continuellement les malades vers les hôpitaux de Verdun et de Longwy par convois entiers, pour comprendre que Brunswick n’était plus en état de pousser sur Paris, d’envahir ni même de combattre. La dysenterie ravageait son camp. La pluie, la boue, le manque de vivres, le harcèlement continu sur ses lignes de communication, le contraindraient bientôt à une retraite où il serait aisé de le tailler en pièces. Pourquoi donc négocier avec un ennemi que l’on pouvait anéantir ? Avec un tyran qu’il ne suffisait point de battre mais auquel il fallait arracher son sceptre et sa couronne ! Cependant, par l’intermédiaire de Fabre et de Westermann, Dumouriez agissait en accord avec Danton. Il eût été inimaginable que l’homme du 10 août voulût ménager un despote. Ici, on n’apercevait qu’un détail de la situation ; un ministre qui en tenait tous les fils pouvait avoir quelques bonnes raisons d’en relâcher un et d’en tendre d’autres. De toute façon, des patriotes comme Claude, comme Jean Dubon, comme Robespierre, ne le laisseraient point s’avancer dans une voie contraire au bien de la République.
    Bernard se représentait les choses parisiennes aussi naïvement que Claude et Lise se peignaient l’existence à l’armée. En particulier, Lise se figurait le nouveau lieutenant-colonel dans un splendide uniforme tout luisant de dorures, sur un grand cheval piaffant. Claudine, en secret, l’imaginait plus magnifique encore. Et il était boueux, crasseux, les pieds dans l’eau, avec son chapeau percé, sa culotte et son habit pleins de reprises grossières. Mal nourri, en plus. Car, sans en être réduit à une quasi-famine comme les Prussiens, on faisait très maigre chère. Les ressources de la région s’épuisaient, on ne trouvait plus guère que des farines. Comme viande, on mangeait surtout les chevaux tués. Plus de café ni de sucre. Dumouriez avait envoyé tout ce qui en restait – onze livres – en cadeau à Frédéric-Guillaume, afin de le convaincre qu’au camp français on nageait dans l’abondance.
    Le crut-il ? En tout cas, le 1 er  octobre, quand se leva le jour, les vedettes des postes avancés virent les hauteurs de la Lune entièrement désertes. Plus une tente, plus un homme. Les sombres colonnes prussiennes disparaissaient entre les mamelons de la Champagne pour repasser la forêt d’Argonne.

II
    Oui, Bernard s’abusait singulièrement en croyant qu’à Paris l’abolition de la royauté avait inauguré le règne de la raison et de la sagesse. À peine réunie, la Convention s’entre-déchirait. La déclaration de Danton, repoussant toute idée de dictature et proclamant l’intangibilité des propriétés, lui avait valu les sympathies de la Plaine. Mais pour l’état-major brissotin, entièrement soumis à l’influence de Manon Roland, il était l’homme des massacres, du vol du Garde-Meuble : un monstre gorgé d’or et de chair humaine, un « Sardanapale ». Maintenant, il ajoutait à ses autres vices la « tartuferie ». Il fallait le « démasquer », et avec lui « l’intrigant » Robespierre, « l’immonde » Marat qui s’était permis de lancer des mandats contre Roland et Brissot.
    Celui-ci, et Buzot, Pétion, décidément passé aux rolandistes, ne pardonnaient pas à Danton, à toute la députation de Paris, leur échec devant l’assemblée électorale qui les avait contraints de chercher un mandat en province. Chez les Roland, on qualifiait Paris : « une ville de luxure et de sang », on l’accusait d’avoir tout entière fait les massacres. Sa dictature, disait-on, transformait la Révolution en une débauche criminelle. Il convenait avant tout de garrotter la cité coupable. Claude, qui s’imposait d’aller encore rue Neuve-des-Petits-Champs, pour tenter d’y adoucir les esprits et d’établir entre tous les révolutionnaires l’entente souhaitée par Danton, protestait avec calme contre cette

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