Les autels de la peur
Claude et Dubon trouvèrent les douze députés de Paris au complet dans la salle du comité de correspondance où Chabot les exhortait. « La Convention rétrograde, disait-il. Les intrigants s’en emparent. Il faut que les Jacobins, non seulement de Paris mais de tout l’Empire, la forcent à donner à la France un gouvernement de son choix. Les endormeurs de la secte Brissot et Roland veulent établir un régime fédératif pour régner sur nous par les départements. » On entendit dans l’église la sonnette du président et l’on se rendit à la séance. Elle débuta par la lecture d’un billet de Brissot qui demandait à s’expliquer fraternellement. Sans écouter davantage, Fabre d’Églantine s’en prit à Buzot, dénonçant son discours à l’Assemblée comme une manœuvre préparée chez Roland pour prévenir la Convention contre Paris. Le blond Pétion protesta flegmatiquement. « Je défends en Buzot mon ami, mais plus encore, dit-il, un des citoyens les plus dévoués à la liberté et à la République.
— Un scélérat ! C’est un scélérat ! » s’écrièrent Camille, Chabot.
Billaud-Varenne se démenait : « Buzot et toute la clique bris-sotine, hurla-t-il, veulent enfermer la République dans leur tyrannie ! »
Furieux, Grangeneuve, Barbaroux ripostèrent en menaçant la députation de Paris. « C’est vous, les tyrans sanguinaires. Tremblez ! Nous appellerons contre vous de nouveaux Marseillais. » Au milieu d’un tapage comme la Société n’en avait jamais entendu, on échangeait de gradin à gradin accusations et injures : « Vous tendez à la dictature ! – Vous conspirez contre la liberté ! » Incapable de rétablir le calme, le président se couvrit. La séance fut levée dans le tumulte.
« C’est la guerre déclarée », constata Dubon en sortant. Consterné par cette explosion de haine, Claude le suivait en silence, lorsque, dans la cour, à la lueur venant par la porte de l’église, il vit Lasource et Vergniaud. « Mes amis, leur dit-il, quel moment affreux ! Allons-nous donc nous déchirer ? » Vergniaud se récria. Comme Danton, il désirait sincèrement l’union, mais Marat et les enragés de la Commune lui faisaient horreur. « Pourquoi Fabre n’a-t-il pas écouté le message fraternel de Brissot ? ajouta-t-il. – Nous ne pouvons pas, dit Lasource, livrer la France à des hommes de sang qui veulent régner par l’assassinat. Il y a ici un parti dictatorial. La loi contre les assassins et la demande d’une garde pour la Convention ne peuvent déplaire qu’à lui.
— Je ne crois pas Marat si redoutable, répondit posément Claude. Voyez son journal. Il y annonce qu’il va prendre désormais un autre chemin. La haine des ennemis de la nation et le bonheur du peuple, seuls, l’animent avec violence. Ce n’est pas un homme insensible. Bien des prisonniers, je vous le jure, ont été épargnés par ses soins.
— Quoi ! s’exclama Lasource, indigné. Pouvez-vous parler ainsi d’un monstre couvert de sang, qui a voulu envoyer à ses égorgeurs Brissot, Roland et les meilleurs d’entre nous ! »
Impossible de dire aux sujets de Manon que Marat n’avait pas tort de considérer « l’honnête Roland » comme plus néfaste, avec sa vaniteuse sottise, que bien des ennemis du peuple. Et Brissot, touche-à-tout, brouillon, versatile, n’était jamais parvenu, malgré son patriotisme, qu’à paralyser les patriotes, à introduire et entretenir la division parmi les révolutionnaires. De tels hommes représentaient un véritable danger public. Souhaiter leur mort, non, sans doute, néanmoins leur disparition eût été un bienfait pour la nation, il fallait le constater. Il fallait également reconnaître qu’en voulant les envoyer à l’Abbaye, Marat obéissait peut-être aussi à des rancunes personnelles. Pour lui, le premier crime de Roland, c’était certainement d’avoir refusé à L’Ami du Peuple les subsides du ministère. Et le second, de faire publier, sur ces fonds, par Louvet La Sentinelle, ce placard rose qui tapissait les murs de Paris. Ne voulant point lever un tel lièvre, Claude soupira et se tut.
Mais le lendemain, au Manège, dès l’ouverture de la séance, comme on parlait de régler l’ordre du jour, il se dressa en lançant : « Le seul ordre du jour, c’est de mettre un terme aux défiances qui nous divisent. Elles perdraient la chose publique. Il faut en finir avec les accusations
Weitere Kostenlose Bücher