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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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haine dont il mesurait les dangers. Il ne trouvait, hélas ! qu’une oreille favorable : celle de Vergniaud, préservée de l’attraction de M me  Roland par les charmes de M lle  Candeille, de la Comédie. Le fait d’avoir appartenu au Comité de surveillance marquait Claude, on le lui pardonnait parce qu’il s’était retiré avant la venue de Marat, et on ne le voyait pas d’un trop mauvais œil parce que lui aussi était un élu de la province. Manon conservait quelque bonne grâce pour un témoin de sa jeunesse. Mais il se sentait suspect auprès de certains. L’ancien pasteur Lasource, Lanthenas, Grangeneuvc, au moins, le soupçonnaient sourdement d’être un espion de Danton et de Robespierre.
    Cinq jours avant que les Prussiens eussent levé leur camp, l’hostilité latente de la Gironde éclata dans l’Assemblée. La Convention avait entendu un rapport de Roland. Il voulait qu’elle se donnât une force armée pour « assurer l’indépendance et la sécurité de la représentation nationale ». Proposition dirigée contre les sections de Paris et très mal reçue par la Montagne. Kersaint, député breton, accentua cette attaque en réclamant une enquête sur les massacres. « Il est temps, s’écria-t-il, d’élever des échafauds pour les assassins et pour ceux qui provoquent à l’assassinat. » Ces deux motions semblaient concertées. Tallien, demandant l’ajournement, s’attira cette riposte impulsive de Vergniaud : « Ajourner la répression du crime, c’est en proclamer l’impunité. » Sergent, Panis, Collot d’Herbois s’opposèrent au vote.
    Encore une fois, les chefs de file se taisaient. Claude était mal à l’aise pour prendre la parole. Il aurait l’air de vouloir se défendre en défendant le Comité de surveillance. Collot s’efforça de justifier Paris, sa Commune, ses citoyens. « Les citoyens de Paris ! s’exclama Lanjuinais. Ils sont dans la stupeur. À mon arrivée ici, j’ai frémi ! » Le ton montait. Claude constatait l’effervescence de la droite où siégeaient les Brissotins. Une grande partie de la Plaine avait applaudi Kersaint, elle approuvait maintenant Lanjuinais. Cela sentait la bataille.
    Pourtant Robespierre, Marat, l’œil caché sous les paupières tombantes, Danton, au banc des ministres, ne bougeaient pas. Buzot était monté à la tribune et lançait des phrases tumultueuses : « Il ne suffit pas de se dire républicains ! Subirons-nous sous ce nom de nouveaux tyrans ?… Le ministre de l’Intérieur, ce Roland qui, malgré les calomnies dont on l’accable, est à vos yeux un des plus hommes de bien de la France, vous propose une force publique. Je la demande, moi aussi : une force à laquelle concourent tous nos départements. Il faut armer la loi contre les hommes infâmes qui assassinent parce qu’ils n’ont pas le courage de combattre… Croit-on nous rendre esclaves de certains députés de Paris ? »
    Robespierre serrait les lèvres mais ne disait rien. Claude n’avait aucune envie de prendre la défense des massacreurs. Quant à essayer de distinguer entre leur petite bande et l’ensemble de la population, ce n’était pas le moment. On n’écouterait point. Presque tous les députés des départements épousaient l’idée des Brissotins. Claude se rappelait la façon dont le club de Limoges avait accueilli ses paroles quand il avait voulu expliquer les exécutions sommaires. Il garda lui aussi le silence. La droite et la Plaine acclamaient Buzot, Roland. La motion fut votée sans opposition possible.
    Au sortir du Manège, Desmoulins bafouillait de colère, Fabre, présent entre deux voyages au camp de Dumouriez, dit : « On ne peut pas laisser se faire une chose pareille. Rendons-nous tous à la Société, ce soir, et battons-nous ! » Claude devait souper chez Dubon, Lise, Gabrielle et Claudine allant ensuite à la Comédie, car les théâtres venaient de rouvrir. Jean, qui se jugeait plus propre aux besognes administratives qu’à la tribune, et plus utile dans ce rôle, n’avait pas brigué la députation. Il restait à l’Hôtel de ville, au comité militaire où, par un travail incessant, on réussissait à faire partir chaque jour pour les armées environ mille hommes munis de l’indispensable.
    Les deux beaux-frères allèrent ensemble aux Jacobins. Dans les gradins, sous la lourde voûte et les lustres, le public ne se montrait pas nombreux. Les principaux Girondins étaient là.

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