Les autels de la peur
qu’on se jette à la tête sans oser les préciser. Il faut débrider la plaie une bonne fois. Hier soir, Lasource a dit qu’il existait ici un parti dictatorial. Je lui demande de le nommer. »
Surpris, Lasource se leva. « Le citoyen Mounier-Dupré révèle là une conversation particulière, répondit-il, mais, loin de me plaindre de cette indiscrétion, j’y applaudis. Ce que j’ai dit en confidence, je le redirai à la tribune et j’y soulagerai mon cœur. » Lasource monta effectivement à la tribune d’où il déclara : « Hier soir, aux Jacobins, j’entendis dénoncer les deux tiers de la Convention comme conspirant contre le peuple et contre la liberté. En sortant, des citoyens se groupèrent autour de moi. Le citoyen Mounier-Dupré était avec eux. Il nous peignit son inquiétude provoquée par ces discordes. On s’en prenait au projet de loi destinée à punir les assassins. J’ai dit et je dis encore : cette loi ne peut effrayer que ceux qui méditent des crimes et les rejettent ensuite sur le peuple, dont ils se prétendent les seuls amis. On criait contre la proposition de donner une garde à la Convention. J’ai dit et je dis encore : la Convention nationale ne peut ôter aux départements de la république le droit de veiller au dépôt commun et à l’indépendance de leurs représentants. Ce n’est pas le peuple que je crains, ce n’est point Paris, mais le despotisme des intrigants qui l’oppriment. Je ne veux pas que Paris devienne pour l’empire français ce que fut Rome pour l’empire romain. Je hais ces hommes qui, le jour même où se commettaient les massacres, ont osé décerner des mandats contre des ministres ou députés. Ils veulent arriver par l’anarchie à cette domination dont ils ont soif. » Comme la Montagne l’interrompait en criant : « Nommez-les ! » il repartit : « Pour l’instant, je ne désignerai personne. Je suis de l’œil le plan des conjurés ; quand ils m’auront fourni assez de traits de lumière pour les bien voir et pour les montrer à la France, je viendrai les démasquer à cette tribune, dussé-je, en descendant, tomber sous leurs coups. Je serai vengé. La puissance nationale, qui a foudroyé Louis XVI, foudroiera tous ces hommes avides de domination et de sang. »
Laissant se calmer les applaudissements de la plus grande partie de l’assemblée, Claude enfla sa voix pour répliquer : « Le citoyen Lasource a fait de la belle rhétorique, mais il n’a pas répondu. Je lui ai demandé que l’on s’explique, et non que l’on prolonge la confusion et la défiance.
— Eh bien, s’écria Rebecqui avec son accent de Marseille, je répondrai, moi. Je nommerai Robespierre. Voilà l’homme, voilà le parti que je dénonce.
— Je réclame la parole », dit Danton calmement.
Enfin, il se décidait à intervenir ! Il gagna la tribune et débuta en virtuose. « C’est un beau jour pour la nation, dit-il, c’est un beau jour pour la république, celui qui amène entre nous une explication fraternelle. S’il y a des coupables, s’il existe un homme assez pervers pour vouloir dominer despotiquement les représentants du peuple, sa tête tombera aussitôt qu’il sera démasqué. Mais Mounier-Dupré a grandement raison : l’imputation ne doit pas être vague et indéterminée. Celui qui la fait doit la signer, la justifier. S’il y a quelqu’un qui puisse m’accuser à cet égard, qu’il se lève et qu’il parle. » Danton s’interrompit, parcourant du regard la longue salle, grise par ce matin d’automne. Enregistrant d’un signe le silence de l’assemblée, il reprit : « Je ne défends pas en masse la députa-tion de Paris. Il y existe un homme dont, il est vrai, les opinions exagèrent et discréditent le parti républicain. C’est Marat. Assez et trop longtemps on m’a accusé d’être l’auteur de ses écrits. J’invoque le témoignage de votre président. Pétion a dans ses mains une lettre menaçante qui me fut adressée par Marat parce que j’avais arrêté les mandats contre les ministres. Pétion a été témoin d’une altercation à ce sujet entre Marat et moi, à la mairie. Mais les outrances de ce citoyen doivent être attribuées aux vexations qu’il a subies. Les souterrains dans lesquels il a été enfermé ont ulcéré son âme. Il a beaucoup souffert pour la liberté, on doit lui en tenir compte. Et puis faut-il, pour un ou quelques individus exagérés, accuser une
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