Les autels de la peur
discours, que Claude devait malgré lui s’avouer remarquable, avait produit un profond effet dans les esprits. Mais le coup décisif fut porté contre Louis XVI par Roland. Il ne pouvait agir autrement : le serrurier Gamain, après de longues hésitations, était allé apprendre au ministre de l’Intérieur l’existence de l’armoire de fer. Impossible à Roland de taire cet aveu ni de ne point transmettre à la Convention les documents saisis de la sorte. Il vint déposer sur le bureau de l’Assemblée ces papiers que Marie-Antoinette espérait bien ne jamais voir mis au jour. Peu avant le 10 août, elle en avait enlevé quelques-uns, notamment des lettres de Barnave, pour les confier à Jarjayes. En quittant le Château, Louis en avait retiré d’autres pour les remettre aux soins de M me Campan. Il restait néanmoins des pièces accablantes dont la première victime fut Mirabeau : sa collusion avec la Cour apparut, sa mémoire fut flétrie, son buste voilé en attendant que l’on enlevât ses restes du Panthéon. La Convention décida que le roi serait jugé, qu’il comparaîtrait devant elle. On nomma une commission chargée d’établir, d’après les pièces découvertes et celles que l’on possédait déjà, un acte énonciatif des faits imputés à Louis XVI.
Robert Lindet, député de l’Eure, le présenta, le 10 décembre. Danton était rentré à Paris le matin même. Marat siégeait de nouveau sur la Montagne, dans l’ombre sous la galerie de gauche. Claude écoutait, incertain. À sa question anxieuse, l’homme aux lunettes avait répondu laconiquement : « Il faut être stoïque. » Pas un mot de plus. Selon Pierre Dumas, plus explicite, les Jacobins de Limoges, dans leur majorité, étaient beaucoup moins formels. Hormis quelques « exagérés » comme les Janni, les Préat, les Frègebois, on ne désirait point la mort du ci-devant monarque. On semblait même effrayé à l’idée qu’il pourrait porter sa tête sur l’échafaud. « Nous avons voulu, écrivait Dumas, la destruction de la royauté, car l’expérience a montré que la monarchie constitutionnelle dont nous rêvions n’est pas possible. Les succès qui ont accompagné la naissance de la République prouvent au contraire la vigueur du nouveau régime. Nous l’avons embrassé avec enthousiasme. Il a sauvé la patrie. Mais il contient en lui des germes redoutables par cela même qu’il invite les inévitables partis à la lutte pour le pouvoir. Il faudrait être aveugle pour ne pas distinguer cela. L’exécution du roi vaincu pourrait, par son exemple, donner le signal d’une anarchie sanglante. Que deviendrait la France si chaque parti, pour assurer son influence, immolait ses adversaires dès l’instant qu’il l’emporterait sur eux ? » Toutefois, ce bon Dumas ne disait point quoi faire de l’ex-monarque. Vivant, il serait toujours une menace, une source d’agitations, de complots.
Les griefs que Lindet énumérait un à un, on les connaissait, pour la plupart, depuis longtemps. Cela commençait à Versailles. La commission des Douze reprochait à Louis XVI la fermeture de la salle des États, le 20 juin 89, la séance royale du 23, où il avait enjoint aux députés de se séparer sur-le-champ, le coup d’État déjoué par l’insurrection du 14 juillet, sa présence au repas des gardes du corps et les insultes infligées à la cocarde nationale, son refus de sanctionner la Déclaration des Droits et les premiers articles de la Constitution, les menaces d’une nouvelle entreprise contre la nation, en octobre, qui avaient provoqué la marche du peuple et de la garde nationale sur Versailles. Ensuite, à Paris, ses discours conciliateurs dénués de sincérité, le faux serment prêté à la Fédération de juillet 90, son entente avec Mirabeau et Talon pour provoquer une contre-révolution, l’argent répandu afin de corrompre certains députés – ces deux faits prouvés par les papiers de l’armoire de fer, – la fuite à Varennes, la fusillade du Champ de Mars, le silence gardé sur la convention de Pillnitz, le retard apporté à la promulgation du décret réunissant le domaine papal d’Avignon à la France, les mouvements royalistes de Nîmes, Montauban, Mende, Jallès, la continuation de la paie aux ci-devant gardes du corps et à la garde constitutionnelle licenciée par l’Assemblée, la correspondance secrète avec des agents à l’étranger, avec les chefs de
Weitere Kostenlose Bücher