Les autels de la peur
dit aussi le Curé rouge, enfin Hébert. Depuis longtemps jaloux de l’ami du peuple, le Père Duchesne cherchait à le supplanter en ralliant les Cordeliers « exagérés » : les Enragés, les agitateurs sectionnaires de toute espèce, et il semblait en passe d’y réussir.
Tristement persuadé que rien ne pouvait plus rompre le courant qui portait au jugement de Louis XVI, Claude, ce soir-là, écrivit aux Jacobins de Limoges : « Le ci-devant roi va laisser sa tête sur l’échafaud. Quel est votre sentiment, frères et amis? La Société Mère reçoit de nombreux avis là-dessus. Ne balancez pas à exprimer le vôtre avec toute la franchise de vrais républicains. Vous n’avez à répondre de votre opinion que devant votre conscience. » Dans une lettre à Guillaume Dulimbert, il en dit davantage. « Assurément, le roi a commis d’immenses fautes. Je m’en suis irrité contre lui. La veille du 14 juillet, j’ai détesté son obstination stupide. J’ai mesuré sa mauvaise foi lorsqu’il s’est enfui après avoir donné sa parole qu’il ne songeait pas à s’éloigner. Au 20 juin suivant, je l’ai méprisé. Je l’ai haï au 10 août, quand il attendait dans la loge du Manège de savoir si ses mercenaires suisses et ses courtisans n’anéantiraient pas le peuple. Le monarque n’est point pardonnable. Mais il n’y a plus de monarque, il reste seulement un homme, une famille. Ceux qui les désincarnent pour en faire un symbole dont la destruction est nécessaire ne connaissent pas cet homme, cette famille. Ils ne les ont jamais approchés, ils ne les ont pas vus grandir sous les coups du malheur, jusqu’à fournir l’image que je garde d’eux au Temple : celle de l’amour le plus pur et de la dignité rayonnant dans une complète misère. Cette image-là, je ne puis l’oublier. Elle éclipse en moi tous les souvenirs du despotisme. Si c’est une faiblesse, je te la confesse. Sois encore une fois mon guide. »
Là-dessus, on connut la victoire de Jemmapes, annoncée à la Convention par le ministre de la Guerre. On reçut à la barre un ancien serviteur de Dumouriez, devenu son aide de camp, qu’il avait chargé de porter la nouvelle, et auquel on décerna une épaulette et des armes d’honneur.
Sur le moment il y eut une espèce d’ivresse. M me Roland expédia au général une lettre vibrante. Brissot lui écrivait : « Ah! mon cher, que sont ces Alberoni, ces Richelieu vantés ! Qu’est-ce que leurs projets mesquins, comparés aux grandes révolutions du globe que nous sommes appelés à faire ! Novus rerum nascitur ordo. La République française ne doit avoir pour borne que le Rhin. » Aux Jacobins même, le buste du vainqueur fut couronné de lauriers. Robespierre, sans partager cet enthousiasme, ne dit rien. Seul Marat, fulminant, annonçait en Dumouriez un nouveau La Fayette, un Cromwell. Il l’accusait de mentir sur le chiffre de ses pertes. Le général prétendait n’avoir eu qu’une centaine de tués. « On ne prend pas à si peu de frais une montagne semée de redoutes », écrivait Marat dans son Journal de la République. Il jugeait bien, on le sut ensuite : il y avait en réalité plus de quatre mille morts français, à peine moins que chez les Autrichiens. Et puis, ajoutait l’ami du peuple, nul bagage, nulle artillerie n’ont été abandonnés. Clerfayt s’en est allé tranquillement ; c’est là une retraite, non pas une défaite. L’attaque aurait dû être conduite d’une façon plus efficace.
Claude, renseigné par les lettres de Bernard, soutint au club cette opinion. Il dénonça l’incapacité, le mauvais esprit des généraux d’ancien régime, et en fournit les preuves. Elles n’intéressèrent que Saint-Just. Quant aux autres Jacobins, ils s’en tenaient aux résultats. Apparemment, ceux-ci n’auraient pu être meilleurs. Les armées volaient de victoire en victoire : le 14, Dumouriez entra dans Bruxelles. Le 18, Ypres, Anvers tombaient. Le 21, Namur. Le 28 enfin, Dumouriez occupait Liège. Jusqu’à la Meuse, la Belgique recouvrait sa liberté. La veille, la Savoie venait d’être réunie à la France. Les drapeaux enlevés aux ennemis se multipliaient au sombre plafond du Manège où ils flottaient avec ceux des Suisses, pris le 10 août. Le tribunal extraordinaire du 17, sans raison d’être à présent, fut supprimé. Le « parent » de Desmoulins : Fouquier-Tinville, n’aurait pas joui longtemps de la place.
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