Les autels de la peur
l’émigration et les cours ennemies, dont les preuves sortaient également de l’armoire des Tuileries, l’insuffisance des armées réunies à la frontière, le désarmement des places fortes, le refus du camp sous Paris, l’annonce tardive de l’avance des Prussiens, l’organisation de forces royalistes dans les Tuileries et dans la ville, le doublement de la garde au Château le 9 août, la convocation du maire dans la nuit, la revue des Suisses et des troupes le matin du 10, enfin l’effusion de sang entraînée par ces préparatifs militaires, et l’ordre de déposer les armes donné quand il n’y avait plus d’espoir pour la monarchie.
Assurément, beaucoup de ces fautes ou de ces crimes eussent été imputés à la Cour, au fanatisme royaliste ou religieux, aux sentiments aristocratiques ou monarchistes, plus justement qu’au roi en personne. Il n’avait eu aucun rôle dans l’hécatombe du Champ de Mars. Cependant Louis XVI était bien la cause de tout ce qu’on lui reprochait. Simplement parce qu’il existait, comme disait Saint-Just. Existant, il ne pouvait pas n’être point le pôle de toutes les passions monarchistes, ne point souhaiter de régner encore sur une nation qui ne voulait plus de rois. Lorsque les commissaires envoyés par la Commune étaient allés lui signifier au Temple l’abolition de la royauté, il avait bonnement répondu : « Je fais des vœux pour que la république soit favorable au peuple. Je ne me suis jamais mis entre son bonheur et lui. » Quelle confiance pouvait-on accorder à cette parole d’un homme tant de fois parjure ?
L’audition de l’acte terminée, l’Assemblée décida que Louis Capet serait amené devant elle dès le lendemain. Depuis le mois d’octobre, la famille royale avait quitté la petite tour du Temple pour loger dans la grande où elle était soumise à une surveillance plus étroite, afin de déjouer toute tentative d’évasion ou d’enlèvement. Surveillance que la peur et la haine rendaient tracassière. Au Conseil général de la Commune, les hommes comme Jean Dubon se consacraient à la grande administration, aux affaires militaires, aux approvisionnements de la ville. Le sort de la famille royale se trouvait ainsi abandonné aux soins des municipaux qui avaient voulu s’en occuper, et ce n’était point par bonté d’âme. Par instinct de revanche, par goût d’humilier, ils renchérissaient sur les précautions nécessaires et les rendaient cruelles. Cependant les prisonniers n’étaient pas traités d’une façon inhumaine. Une députation de la Convention, comprenant Dubois-Crancé, Chabot, Drouet, le maître de poste de Sainte-Menehould, s’était rendue en visite d’inspection au Temple. Claude n’avait pas eu le courage de se joindre à eux.
Le second étage et le troisième, dans la grosse tour, avaient été divisés en quatre pièces par des cloisons de planches recouvertes d’un papier de tenture. Le roi, au second, occupait une chambre meublée d’un lit à rideaux, d’un fauteuil, une commode, une table et quatre chaises, avec une glace surmontant la cheminée. La fenêtre, grillée, comportait en outre, à l’extérieur, un masque en forts ais de chêne, qui allait en s’évasant vers le haut pour laisser entrer la lumière. La chambre communiquait avec celle de Cléry, et une petite pièce dans la tourelle attenante, chauffée par un poêle, servait de cabinet de travail. Les commissaires de la Commune veillaient en permanence dans l’antichambre séparant ces pièces de la salle à manger. À l’étage au-dessus, les dispositions étaient à peu près les mêmes. La reine et sa fille partageaient une chambre superposée à celle du roi. Madame Élisabeth occupait celle qui correspondait à la chambre de Cléry. Des municipaux se tenaient dans l’antichambre. À la place de sa salle à manger, se trouvait le logement du geôlier Tison et sa femme. Dans l’escalier, à chaque étage, les porte-clefs et les sentinelles disposaient de deux guichets. Le dauphin demeurait chez le roi. La reine et les princesses les voyaient chaque jour.
Tous les matins, à neuf heures, elles descendaient les rejoindre pour déjeuner. Après quoi, faute de servantes, elles se faisaient coiffer par Cléry chez le roi qui, pendant ce temps, donnait à son fils des leçons de français ou de latin, de calcul, d’histoire, de géographie. À midi, gardiens et sentinelles venaient chercher la famille pour la
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