Les autels de la peur
Ses derniers justiciables avaient été les voleurs du Garde-Meuble. Pour qu’ils expirassent au lieu même de leur forfait, on avait dressé la guillotine là-devant, sur la place de la Révolution : l’ancienne place LouisXV. La sanglante Louisette ne paraissait plus sur le Carrousel, au grand soulagement de Lise.
Ces succès de la République ne produisaient pourtant point l’unanimité. Au contraire, Claude voyait le fossé se creuser chaque jour davantage entre la Montagne et les Brissotins. Les ponts se coupaient un à un. Pétion, n’ayant pu parler, le 5, dans le débat sur l’accusation de Robespierre, avait fait imprimer son discours. Il y dépeignait l’Incorruptible en ces termes : « Ombrageux, défiant, voyant partout des complots et des abîmes, son tempérament bilieux, son imagination atrabilaire lui colorent en crimes tous les objets. Ne croyant qu’en lui, ne parlant que de lui, toujours convaincu que l’on conspire contre lui, ambitieux surtout de la faveur du peuple, affamé d’applaudissements, cette faiblesse de son âme pour la popularité a fait croire qu’il aspirait à la dictature. Il n’aspire qu’à l’amour exclusif et jaloux du peuple pour lui. Le peuple, c’est son ambition! » Il parut à Claude, comme à Lise, que l’on n’avait jamais tracé, et que l’on ne tracerait jamais, portrait plus juste de Robespierre. Pétion le définissait admirablement. Mais lui-même était avide de popularité. De là leur irritation mutuelle, peu à peu envenimée.
Maximilien répondit, de sa chambre, en dénonçant les menées des Brissotins qui voulaient diviser la Convention pour régner sur elle et qui avaient dicté à l’ancien maire de Paris son discours. Pétion perdit alors ce qu’il avait conservé de ménagement. Il répliqua par une lettre aux Jacobins, dans laquelle il persiflait Robespierre. Celui-ci riposta de la même encre, accablant de son mépris l’hypocrite Pétion qui s’était fait garder à vue chez lui, au 10 août; qui, en septembre, donnait d’une main sa bénédiction aux massacreurs, et de l’autre écrivait à Santerre de les arrêter. Legendre, Claude, Panis avaient essayé d’arranger les choses entre les deux anciens amis. En vain : elles n’étaient plus réparables.
Écœuré par la folie de la Gironde et préoccupé de ce qui se passait en Belgique où Dumouriez, vainqueur, se débattait dans de graves difficultés politiques et administratives, Danton venait d’y partir en mission avec Dubois-Crancé et deux autres commissaires. Auparavant, il avait fait son possible pour empêcher le jugement du roi. Pétion aussi et les Brissotins modérés, en soulevant la question de l’inviolabilité, en évoquant la constitution précédente. Ils espéraient évidemment traîner en longueur, noyer l’affaire dans une adroite confusion. Saint-Just, avec une logique froide et tranchante, avait balayé tout cela. « Pour moi, je ne vois pas de milieu : cet homme doit régner ou mourir. » Saint-Just paraissait à la tribune pour la première fois. Ce fut pour beaucoup, qui ne l’avaient pas entendu aux Jacobins dont il venait d’être élu président, une révélation. Une personnalité très forte, froidement passionnée, un esprit de haut vol, dédaignant l’accessoire et portant à ce qu’il touchait les lumières de la raison pure, se découvraient dans cet orateur de vingt-cinq ans. Sa beauté aristocratique et féminine ajoutait encore à l’effet produit par sa parole calme, voilée, presque indifférente. Il déclara en substance qu’il n’y avait point à procéder contre Louis XVI, mais à décréter purement et simplement son exécution parce qu’il était né roi. L’impression sur la majorité fut profonde. L’abbé Fauchet, ou plutôt l’évêque Fauchet, ne l’avait point dissipée en s’élevant contre la peine de mort et en déniant à la société le droit « d’arracher à un homme une vie qu’elle ne lui a pas donnée ».
Peu après, de retour à l’Assemblée, Robespierre, appuyant Buzot qui demandait l’envoi, dans l’Indre-et-Loire, de commissaires chargés d’arrêter dans ce département les perturbateurs provoquant la disette pour soulever les populations, ajouta : « Je vais proposer d’autres mesures plus générales dont l’influence sera plus salutaire et plus efficace pour le retour de l’ordre. Elles confondront à jamais les ennemis de la Convention nationale. » Ces mesures
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