Les autels de la peur
que les chefs des deux côtés de l’Assemblée fassent application de cet exemple, qu’ils s’exilent volontairement, en nombre égal. »
Cette idée frappa les membres du Comité. Elle enthousiasma le méridional Cambon, Delmas, Treilhard, Barère. Danton s’écria : « Je m’offre à me rendre le premier en otage à Bordeaux !
— N’en déplaise à Garat, dit Claude froidement, sa proposition est absurde. Aristide et Thémistocle ne se jetèrent ni l’un ni l’autre dans le gouffre, et Aristide fut frappé de l’ostracisme. Voilà l’histoire. »
Mais la solution avait de quoi séduire. Les chefs écartés, cela faisait de belles places à prendre. Barère, sans doute, se voyait déjà le grand homme de la Convention. Tout bouillant, il partit proposer le suicide aux Girondins. Danton, lui, apercevait là un acte digne de l’antique. Sa générosité s’enflammait. Peut-être aussi pensait-il, avec sa matoiserie paysanne, trouver un bénéfice à ce dévouement qui le grandirait encore dans l’imagination des foules. Il avait la popularité, il aurait l’estime universelle. Cependant, sur ses instances, Claude consentit à sonder Robespierre. Il le trouva chez Duplay, perfectionnant avec Saint-Just le projet de déclaration des Droits dont il avait déjà donné connaissance aux Jacobins.
« Allons donc ! dit-il après avoir écouté Claude, nous ne sommes point libres d’abdiquer. Le peuple nous a placés à notre poste, nous devons y rester et y mourir s’il le faut. Qu’on prenne ma tête, je ne la donne pas. Au demeurant, et tu le vois, le mot d’Aristide est un sophisme : ou Aristide juge qu’en s’opposant à ses adversaires il nuit à sa patrie, et alors il doit se précipiter dans le gouffre ; ou il estime qu’il la sauve, et son devoir est de précipiter ses ennemis.
— J’ai déjà dit à Garat ma façon de penser.
— L’héroïsme de Danton, déclara Saint-Just, si cet héroïsme est bien pur, n’est que l’attendrissement d’un cœur faible qui fléchit devant son devoir et livre la Révolution pour une larme. »
Claude rentra dîner chez lui. Il était las et excédé. Avec Lise, il se promena ensuite dans le Jardin national où bivouaquaient quelques bataillons, où jouaient des enfants, où se serraient des amoureux, où des citoyens lisaient les gazettes et d’autres discutaient, où piaillaient les moineaux, où la vie coulait de son cours ordinaire. Combien d’hommes, de femmes participaient-ils vraiment à cette Révolution que l’on faisait pour eux ?… Il ne regagna le pavillon qu’après quatre heures. L’antisalle du Comité, blanche elle aussi, aux panneaux réchampis d’or, au plafond peint, était pleine de journalistes, de députés venus aux nouvelles, d’émissaires et probablement d’espions. Dans le salon régnait un air de défaite. Ni Barère, Cambon et Delmas auprès des Girondins, ni Danton et Delacroix auprès des Cordeliers, n’avaient eu plus de succès que Claude : d’aucun côté, hormis de rares exceptions, on ne voulait jouer les Aristides.
« Et maintenant, dit Claude, allez-vous prendre une décision ? Ou bien attendrons-nous d’être forcés ? »
Il s’en fut dans les bureaux de la correspondance aviser Héron, qui répondit à son regard par un petit signe de tête. Ils se rejoignirent dans un des cabinets donnant sur la cour.
« Eh bien ? demanda Claude à mi-voix.
— Le Comité révolutionnaire a pris ses dispositions pour investir l’Assemblée, répondit le chef de Thomas Maillard. L’Évêché se plaint de Danton, on trouve son énergie bien ralentie depuis l’abolition des Douze. Marat provoque une pétition très ferme pour exiger la mise en accusation des Vingt-deux. Elle sera présentée ce soir, et si elle ne réussit pas Hanriot ramènera, dans la nuit, les bataillons destinés pour la Vendée, qu’on retient depuis avant-hier dans les casernes de Courbevoie. Demain, la Convention sera cernée, jusqu’à ce qu’elle rende le décret d’accusation.
— Tu vas faire savoir immédiatement à Dobsen, Varlet, Hébert et autres Enragés, qu’ils n’obtiendront jamais ce décret. Plutôt que de le rendre, les trois quarts de la Convention se laisseraient massacrer sur leurs bancs, moi le premier. Le Comité d’exécution doit se pénétrer de cela. Toutefois on obtiendra, à condition de ne pas demander davantage, que les Vingt-deux, ou plus, soient exclus de l’Assemblée et
Weitere Kostenlose Bücher