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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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Meilhan, qui occupait un vaste logement non loin, derrière Saint-Roch, rue des Moulins. Louvet y avait annoncé l’arrestation de Roland, d’après le billet laissé par sa femme, sans savoir que l’ancien ministre s’était échappé. « Il faut, disait Louvet, quitter Paris, nous retirer dans les départements pour organiser la résistance à la faction usurpatrice. Ici, nous ne pouvons plus agir et nous serons arrêtés à notre tour. » Les autres hésitaient, retenus malgré eux. Ils sentaient qu’en partant ils abandonneraient le champ de bataille à leurs ennemis. Tout ne semblait pas encore perdu : la Plaine n’avait-elle pas refusé de suivre le coquin Lhuillier et le tartuffe Robespierre dans leur accusation contre les vingt-deux députés de la droite ! Les intentions de Danton, et par conséquent du Comité de Salut public, ne dépassaient point, estimait Vergniaud, l’abolissement de la commission des Douze. Dans ces conditions, ne restait-il pas un espoir de ressaisir la majorité en galvanisant, contre les Jacobins et les Cordeliers, la Plaine : ce Marais, ce Ventre lâche ? Après avoir passé une partie de la nuit à débattre de la sorte, les Brissotins se couchèrent, leurs armes sous la main.
    À ce moment, Manon Roland, qui dormait profondément, fut réveillée par sa servante tenant une bougie. « Madame ! Madame, dit cette fille effrayée, des citoyens de la section vous prient de passer au cabinet. Ils sont là en nombre. » La jeune femme s’habilla entièrement, ne doutant pas de ce qui arrivait. En effet, dans le cabinet de son mari, elle vit à la lueur des flambeaux six hommes, fort ordinaires d’apparence, dont l’un lui annonça : « Nous venons, citoyenne, vous mettre en état d’arrestation et apposer les scellés. » Il lui montra un mandat du Comité révolutionnaire. Comme elle ne semblait pas disposée à obtempérer, un autre des commissaires, petit, maigre, la figure ingrate, exhiba un second mandat, émanant de la municipalité elle-même. Il ordonnait de saisir « Roland et son épouse ». Elle aurait pu invoquer la loi qui ne permettait pas les arrestations pendant la nuit, toutefois l’aube de ce 1 er  juin n’était guère lointaine. Elle aurait pu prétendre aussi que la municipalité n’était plus légale, mais elle ne songeait pas à résister vraiment. Elle avait même hâte que l’injustice fût consommée, afin d’en pouvoir appeler bien haut. La prison ne l’effrayait point, elle n’y courait aucun risque. Il n’en eût pas été de même pour Roland.
    « Comment comptez-vous procéder, messieurs ? demanda-t-elle.
    — Nous avons envoyé chercher le juge de paix de la section, répondit le petit commissaire porteur du mandat de la Commune, et vous voyez un détachement de sa force armée. »
    Des hommes à piques, quelques-uns munis de torches, remplissaient l’escalier. Le juge de paix arriva, commença d’apposer les scellés partout, tandis que Manon faisait mettre à part la garde-robe de sa fille et composait pour elle-même un petit paquet de ce dont elle aurait besoin en prison. Dans le salon, un sans-culotte tenait absolument à ce que le juge scellât le piano-forte et s’éberluait en apprenant qu’il ne s’agissait pas d’un bureau mais d’un instrument de musique. Cependant, de nouvelles figures arrivaient sans cesse. Il y avait maintenant plus de cinquante personnes dans l’appartement. Manon trouva qu’elles y répandaient des émanations infectes. Elle se mit devant la fenêtre de l’antichambre pour respirer. De là, elle vit se lever le jour. Elle écrivit une lettre à Buzot. Comme les municipaux lui demandaient de la leur lire et d’indiquer le destinataire, elle préféra la déchirer. Ils en recueillirent les morceaux. Bien inutilement : elle s’était gardée d’inscrire l’adresse.
    Enfin, à sept heures, on fut prêt à partir. Sans grande émotion, Manon confia aux soins de ses gens sa fille. Elle ne doutait pas de la revoir bientôt en rentrant ici triomphante. Aussi, très calmement, exhorta-t-elle à la patience ses domestiques en larmes. Et comme un des commissaires constatait : « Vous avez là des personnes qui vous aiment.
    — Je n’en ai jamais eu d’autres près de moi », répliqua-t-elle avec sa modestie coutumière.
    Dehors, dans la fraîcheur du matin qui se couvrait comme la veille, après un autre clair lever de soleil, elle passa entre deux rangs de sans-culottes

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