Les Aventures de Nigel
un caractère plus alarmant pour les oreilles épouvantées de ma suivante et pour les miennes. Sans oser paraître les comprendre, nous les entendions maudire les hérétiques insulaires à cause desquels Dieu, saint Jacques et Notre-Dame avaient frustré leurs espérances. Ce sont là de tristes souvenirs, Marguerite.
– Pourquoi donc, généreuse dame, répondit Marguerite, vous y arrêtez-vous ainsi ?
– Ah ! dit lady Hermione, c’est parce que je suis comme le criminel sur l’échafaud, et je voudrais prolonger le temps qui précède la dernière catastrophe. Oui, chère Marguerite, je m’appesantis sur les événemens de ce voyage, si fécond en fatigues et en dangers… Nous traversâmes des déserts arides et des montagnes ; et quoique nos compagnons, hommes et femmes, fussent sans pitié et sans lois, exposés à de terribles représailles de la part de ceux avec qui ils avaient constamment affaire, – cependant j’aimerais mieux détailler nos hasards et nos périls pendant cette route pénible ; que de dire ce qui m’attendait à Saint-Jean-de-Luz.
– Mais vous y arrivâtes en sûreté ? dit Marguerite.
– Oui, ma fille, reprit lady Hermione, et nous fûmes conduites par le chef des contrebandiers à la maison qui lui avait été indiquée pour nous recevoir ; il nous y conduisit, dis-je, avec la même exactitude scrupuleuse qu’il aurait mise à livrer à un de ses correspondans une balle de marchandises prohibées. On me dit que quelqu’un m’y attendait depuis deux jours : – je volai dans l’appartement ; et lorsque j’espérais embrasser mon époux, je me trouvai dans les bras de son ami.
– L’infâme ! s’écria Marguerite, dont l’anxiété avait en dépit d’elle-même été suspendue un moment par le récit de la dame.
– Oui, reprit Hermione avec calme, quoique sa voix fût tremblante, – c’est là le nom qui lui convient. Lui, Marguerite, lui pour qui j’avais tout sacrifié, – dont l’amour et le souvenir m’étaient même plus chers que ma liberté quand j’étais dans le couvent, – plus chers que ma vie dans mon périlleux voyage ; – eh bien ! il avait pris ses mesures pour se délivrer de moi et me passer comme une vile courtisane à un ami débauché.
D’abord l’étranger ne fit que rire de mes larmes et de mon désespoir, comme si ce n’eût été que la colère d’une prostituée qui se voyait abusée, ou l’affectation rusée d’une courtisane. Il rit de m’entendre invoquer mon mariage, en réassurant qu’il savait que c’était une comédie que j’avais exigée de son ami pour me réserver dans l’occasion un rôle de délicatesse. Il exprima sa surprise de ce que je considérais autrement une cérémonie qui ne pouvait être valide ni en Espagne ni en Angleterre, et il eut l’audace de m’outrager jusqu’à m’offrir de contracter avec moi une semblable union. Mes cris appelèrent Monna Paula à mon secours. – Elle n’était pas loin, car elle s’attendait à quelque scène de cette espèce.
– Bon dieu ! dit Marguerite, était-elle complice de votre lâche époux ?
– Non, lui répondit Hermione, ne lui faites pas cette injustice. Ce fut sa persévérance qui découvrit le lieu où j’étais captive. – Ce fut elle qui en informa mon époux ; et remarquant dès lors que la nouvelle intéressait bien plus son ami que lui, elle conclut que c’était le projet de l’infâme de se débarrasser de moi. Dans le voyage ses soupçons furent confirmés ; elle l’avait entendu faire observer à son compagnon, avec un sourire ironique, le changement complet que ma prison et ma maladie avaient opéré dans mes traits ; et l’autre avait répliqué que mon teint se réparerait par un peu de rouge espagnol. Cette circonstance réunie à d’autres l’ayant préparée à cette trahison, Monna Paula entra, maîtresse d’elle-même, et se disposant à me soutenir. Ses calmes remontrances firent plus que mon désespoir. Si l’étranger ne crut pas tout ce que nous lui apprîmes, il se conduisit du moins en homme d’honneur, qui ne voulait point faire violence à des femmes, quelles qu’elles fussent. Il renonça à nous importuner de sa présence ; et non-seulement il apprit à Monna Paula comment nous devions nous rendre à Paris, mais encore il lui remit de l’argent pour le voyage.
De Paris j’écrivis à M. Hériot, le plus fidèle correspondant de mon père. Il partit au reçu de ma lettre,
Weitere Kostenlose Bücher