Les Aventures de Nigel
revenir avec le pouvoir inquisitorial, ses mandats d’arrêt et ses officiers. – Ils ne trouvèrent plus que le cadavre de celle sur qui ils espéraient assouvir leur vengeance.
Comme on découvrit bientôt que j’avais partagé l’hérésie de ma mère, je fus arrachée de ses bras refroidis par la mort, emprisonnée dans un cloître solitaire, et traitée avec une sévérité que l’abbesse m’assura être due autant au dérèglement de ma vie qu’à mes erreurs spirituelles. J’avouai mon mariage pour justifier la situation dans laquelle je me trouvais. – J’implorai le secours de la supérieure pour en instruire mon époux. Elle sourit froidement à cette proposition, et me dit que l’Église m’avait destiné un meilleur époux. Elle me conseilla de penser à la grace spirituelle, et de mériter un traitement plus doux en me hâtant de prendre le voile.
Afin de me convaincre que je n’avais point d’autre ressource, elle me montra un décret du roi, par lequel toute ma fortune était assurée au couvent de Sainte-Magdeleine, et devenait sa propriété à ma mort, ou dès que j’aurais prononcé mes vœux. Comme j’étais inébranlable dans mon refus de prendre le voile, par principe de religion et par amour pour mon époux, je crois (Dieu me pardonne si j’ai tort), je crois que l’abbesse désirait s’assurer mes dépouilles en accélérant ma fin.
Le couvent était pauvre, et situé dans les montagnes de Guadarama. Quelques-unes des sœurs étaient filles d’ Hidalgos, voisins aussi pauvres que fiers et ignorans. D’autres étaient des femmes qu’on y avait enfermées par suite de leur inconduite. La supérieure elle-même était d’une grande famille, au crédit de laquelle elle devait sa place. Mais on prétendait qu’elle avait déshonoré ses parens par ses vices dans sa jeunesse ; et maintenant, dans son âge avancé, l’avarice, la soif du pouvoir, un véritable instinct de sévérité et de cruauté, avaient succédé à son goût pour les voluptés terrestres. – Je souffris beaucoup sous cette femme ; encore à présent son œil terne et sinistre, sa grande taille, et son visage dur et austère, m’effraient pendant mon sommeil.
Je n’étais pas destinée à être mère. Je fus très malade, et ma guérison fut long-temps douteuse ; les plus violens remèdes me furent administrés, si toutefois c’étaient des remèdes. Ma santé se rétablit enfin contre mon attente et celle de tous ceux qui m’entouraient ; mais, quand j’aperçus mon visage pour la première fois dans une glace, je crus que c’était celui d’un spectre. J’étais accoutumée à être flattée par tout le monde, et surtout par mon époux, sur la beauté de mon teint ; – ce teint était complètement privé de sa fraîcheur, et ce qui est plus extraordinaire, je ne l’ai jamais recouvrée. J’ai remarqué que le petit nombre de personnes qui me voient me regardent comme un fantôme. – Telles ont été les suites du traitement que j’ai essuyé. Dieu puisse pardonner à ceux qui en furent les instrumens ! – Je remercie le ciel de pouvoir parler ainsi avec autant de sincérité que j’en mets à prier pour le pardon de mes propres péchés.
On s’adoucit à mon égard ; on était touché peut-être par mon aspect étrange qui attestait mes souffrances, ou l’on craignait que cette affaire n’attirât l’attention pendant la visite que l’évêque devait bientôt faire au monastère.
Un jour que je me promenais dans le jardin du couvent, ce dont j’avais récemment obtenu la permission, un vieil esclave maure qui le cultivait murmura quelques paroles à demi-voix, au moment où je passais près de lui, mais sans cesser de tenir fixés vers la terre son front ridé et tout son corps décrépit ; j’entendis distinctement qu’il prononçait le mot de poterne et le nom d’une fleur qui est l’emblème de la consolation.
Je connaissais un peu le langage symbolique des fleurs, qui fut jadis si perfectionné parmi les Maures d’Espagne ; mais quand je l’aurais ignoré, le captif a bientôt compris tout ce qui semble lui promettre sa liberté. Avec autant de promptitude que je pus en risquer, de peur d’être observée par l’abbesse ou quelques-unes des religieuses, je me dirigeai vers la porte du jardin. Elle était soigneusement fermée comme de coutume ; je toussai faiblement, et j’entendis qu’on me répondait de l’autre côté du mur. – Ô ciel !
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