Les Aventures de Nigel
c’était la voix de mon époux qui disait :
– Ne restez pas une minute de plus en ce moment, mais revenez aussitôt que la cloche aura sonné les vêpres.
Je me retirai transportée de joie. Je n’avais ni le droit ni la permission d’assister aux vêpres ; mais j’étais ordinairement enfermée dans ma cellule pendant que les religieuses étaient dans le chœur.
Depuis ma convalescence, elles avaient cessé de fermer la porte, quoique je fusse menacée du plus sévère châtiment si je franchissais le seuil de ma cellule. – Quel que fût ce châtiment, je me hâtai de le braver. – Dès que le dernier son de la cloche de vêpres eut cessé de se faire entendre, je m’esquivai de ma chambre ; je descendis au jardin sans être vue ; je courus à la porte ; je la vis ouverte ; jugez de mon ravissement : un moment après, j’étais dans les bras de mon époux. Il avait avec lui un autre cavalier d’un extérieur noble. – L’un et l’autre étaient armés et masqués. Leurs chevaux, et un troisième sellé pour moi, nous attendaient dans un bosquet voisin, sous la garde de deux autres cavaliers masqués aussi, et qui paraissaient être des valets. En moins de deux minutes nous fûmes à cheval, et nous galopâmes aussi vite que nous le pûmes à travers des routes détournées et en mauvais état. Un des domestiques nous précédait pour nous servir de guide.
La précipitation de notre fuite et l’agitation de tous mes sens me faisaient garder le silence et m’empêchaient d’exprimer ma surprise et ma joie autrement que par quelques paroles entrecoupées.
C’était aussi une excuse pour le silence de mon époux. Enfin nous nous arrêtâmes dans une cabane solitaire. – Les cavaliers descendirent de leurs montures, et ce ne fut pas m… m… mon époux, voulais-je dire, qui me donna la main ; il semblait tout occupé de son cheval, pendant que l’étranger m’aidait à descendre.
– Entrez dans cette cabane, me dit-il, hâtez-vous de changer de costume. Vous trouverez quelqu’un pour vous aider. – Il faut partir dès que vous aurez mis de nouveaux vêtemens.
J’entrai dans la cabane, où je fus reçue par la fidèle Monna Paula, qui attendait mon arrivée depuis plusieurs heures, agitée par la crainte et l’inquiétude. Avec son aide, je me dépouillai des vieux vêtemens du couvent, dont je changeai le costume détesté pour un habit de voyage à la mode anglaise. J’observai que Monna Paula en avait un semblable. J’avais à peine revêtu le mien qu’on nous pressa de remonter à cheval. On en avait préparé un pour Monna Paula, et nous poursuivîmes notre route. Nous passâmes bientôt près d’un lac où fut jeté mon vêtement de religieuse, dans lequel on avait enveloppé une pierre. Les deux cavaliers nous précédaient ; je venais après eux avec ma compagne, et les deux valets formaient l’arrière-garde.
Monna Paula me répéta plusieurs fois dans la route l’injonction de ne pas parler : notre vie en dépendait. Je fus aisément persuadée de garder le silence, car une fois que la première agitation produite par le sentiment de la liberté fut passée, je me sentis étourdie par la rapidité de la course, et j’eus besoin de tout mon courage pour me tenir en selle, jusqu’à ce qu’à la nuit tombante nous aperçûmes tout à coup devant nous une grande lumière.
Mon époux arrêta son cheval, et il approcha deux fois de ses lèvres un sifflet, dont le son fut suivi d’une réponse dans le lointain. Toute notre troupe alors s’arrêta sous les larges branches d’un liège ; et mon époux, s’approchant de moi, me dit d’une voix dont j’attribuai alors l’accent embarrassé à sa sollicitude pour ma sûreté :
– Il faut nous séparer. Ceux à qui je vous confie sont des contrebandiers, qui ne vous connaissent que comme Anglaise, mais qui, moyennant une forte somme, ont consenti à vous escorter à travers les Pyrénées jusqu’à Saint-Jean-de-Luz.
– Et vous, m’écriai-je avec émotion, quoiqu’à voix basse, ne venez-vous pas avec nous ?
– Impossible, répondit-il ; ce serait tout perdre. – Prenez bien garde de ne parler qu’anglais à ces gens-là. – Ne leur laissez pas même soupçonner que vous entendez ce qu’ils disent en espagnol. – Votre vie en dépend. – Quoiqu’ils vivent en éludant les lois d’Espagne, ils frémiraient à l’idée seule d’outrager celles de l’Église. – Je les vois venir.
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