Les Aventures de Nigel
nous : Divinitùs evasit.
– Le royaume fut heureux du salut de Votre Majesté, dit Buckingham, et de cette finesse d’instinct qui sut se tirer du labyrinthe de la trahison par un fil si délié.
– Sur ma vie, Steenie, vous avez raison ; il y a peu de jeunes gens qui jugent comme vous de la sagesse de leurs anciens. Et quant à ce traître – je pense que c’est un épervier du même nid, – n’avez-vous rien trouvé de papiste sur lui ? Voyez s’il ne porte pas quelque crucifix ou quelque autre colifichet de l’église romaine.
– Il serait peu convenable de ma part de chercher à excuser ce malheureux, dit lord Dalgarno ; car si l’on considère la noirceur de son attentat, cette pensée suffit pour glacer le sang de tout fidèle sujet. Cependant je ne puis m’empêcher de faire remarquer, avec tout le respect que je dois à l’infaillible jugement de Sa Majesté, et pour rendre justice à quelqu’un qui s’est montré jadis mon ennemi, et qui maintenant s’offre sous de plus noires couleurs ; je dois déclarer, dis-je, que cet Olifaunt se montra toujours plutôt puritain que papiste.
– Ah ! Dalgarno, vous voilà, dit le roi ; et vous aussi, vous nous avez laissé seul, abandonné à nos propres forces et aux soins de la Providence, lorsque nous luttions contre ce coquin.
– La Providence, sous le bon plaisir de Votre Majesté, ne pouvait manquer de secourir, dans cette extrémité, l’objet de la sollicitude de trois royaumes que votre mort eût plongés dans la douleur, dit lord Dalgarno.
– Sans doute, milord, – sans doute, répondit le roi ; mais la présence de votre père avec son grand couteau de chasse – m’aurait été d’un grand secours il y a quelques instans ; et à l’avenir, pour seconder les bonnes intentions de la Providence en notre faveur, nous voulons que deux soldats de nos gardes se tiennent toujours près de nous. – Ainsi donc cet Olifaunt est un puritain ? – mais pour cela il ne diffère pas beaucoup d’un papiste ; car, après tout, les extrêmes se touchent, comme dit le proverbe ; il y a, comme je l’ai prouvé dans mon livre, des puritains qui ont des principes papistes : – c’est une nouvelle branche sur un vieux tronc.
Ici le roi fut averti par le prince, qui craignait peut-être qu’il ne se mît à réciter le Basilicon Doron {107} tout entier, qu’il vaudrait mieux rentrer au palais, et considérer ce qu’il fallait faire pour tranquilliser le peuple, qui ne manquerait pas d’élever de sinistres conjectures sur l’aventure de ce matin.
À la porte du palais, une femme s’inclina devant le roi, et lui présenta un papier que le monarque reçut, et qu’il mit dans sa poche. Le jeune prince témoigna quelque envie d’en connaître le contenu. – Le valet de service vous le dira, répondit le roi, lorsque j’aurai ôté mon habit de chasse. Croyez-vous, Charles, que je puisse lire tout ce qu’on m’a remis ? voyez. – (Et il lui montra les poches de son habit toutes remplies de papiers.) – Nous sommes chargé comme un âne, – si nous pouvons ainsi parler ; – comme un âne qui succombe sous une double charge. Oui, oui, asinus fortis accumbans inter terminos {108} , comme dit la Vulgate ; – oui, oui, Vidi terram qu ò d esset optima, et supposui humerum ad portandum, et factus sum tributis serviens {109} . J’ai vu cette terre d’Angleterre, et je suis devenu un roi accablé sous le poids de mille fardeaux.
– Vous êtes, il est vrai, bien chargé, mon cher maître, dit le duc de Buckingham en recevant les papiers dont le roi Jacques vidait ses poches.
– Oui, oui, continua le monarque ; prenez ces choses-là pour vous, per aversionem, mes enfans ! Une poche est pleine de pétitions, l’autre de pasquinades : nous avons bien le temps de les lire ! Sur mon honneur je crois que la fable de Cadmus est allégorique, et que les dents du dragon qu’il semait ne sont autre chose que les lettres qu’il inventa. Vous riez, petit Charles ; – pensez à ce que je dis, – Lorsque je vins pour la première fois de notre pays, dont les hommes sont aussi rudes que le climat, par ma foi, l’Angleterre était une terre promise ; on aurait cru qu’on n’avait rien à faire qu’à se promener sur une eau tranquille, per aquam refectionis {110} ; mais je ne sais ni comment ni pourquoi tout a changé de face. – Lisez ce libelle sur nous et notre gouvernement. Les dents du dragon sont semées,
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