Les Aventures de Nigel
personne, dit Richie avec cette présomption imperturbable et opiniâtre qui faisait le fond de son caractère. – Il attendit l’événement, et il ne tarda pas à en voir l’issue.
Au bout de quelques minutes, Maxwell lui-même entra, et demanda avec empressement qui avait placé un écrit sur l’assiette du roi. Linklater prétendit l’ignorer ; mais Richie Moniplies s’avança hardiment, et fit cet aveu emphatique : C’est moi ! – vous voyez l’homme.
– Alors suivez-moi, dit Maxwell après l’avoir regardé avec un air de grande curiosité.
Ils montèrent un escalier dérobé, – privilège qui passe à la cour pour une entrée plus voisine du pouvoir que les grandes entrées elles-mêmes. Arrivé dans ce que Richie appela une antichambre mal arrangée, l’huissier lui fit signe de s’arrêter, et il entra dans le cabinet du roi. Leur conférence fut courte, et lorsque Maxwell ouvrit la porte pour se retirer, Richie en entendit la conclusion.
– Vous êtes sûr qu’il n’est pas dangereux ? – J’y ai été pris une fois. – Tenez-vous à portée de la voix, mais à la distance au moins de trois coudées géométriques de la porte. Si je parle haut, accourez à moi avec le vol d’un faucon. – Si je parle bas, fermez vos longues oreilles. – Faites-le entrer maintenant.
Richie s’avança sur un signal muet que lui fit Maxwell, et un moment après il se trouva en la présence du roi. Presque toutes les personnes de la classe de Richie, et beaucoup d’autres, eussent été interdites de se trouver tête à tête avec leur souverain ; mais Richie Moniplies avait une trop haute opinion de lui-même pour être accessible à de telles idées : il fit un salut empesé, se releva de toute sa hauteur, et se tint devant Jacques aussi raide qu’un échalas.
– Les avez-vous réellement ? les avez-vous ? dit le roi, flottant entre l’espérance et l’inquiétude, et non sans quelque mélange de crainte et de soupçon. – Donnez-les-moi avant de dire un mot ; je vous l’ordonne au nom de l’obéissance que vous me devez.
Richie tira une boîte de son sein, et, mettant un genou en terre, il la présenta à Sa Majesté, qui l’ouvrit aussitôt. S’étant assuré qu’elle contenait une certaine chaîne de rubis dont nous avons déjà parlé au lecteur, il s’abandonna à une sorte d’extase, se mit à embrasser les pierres, comme si elles eussent été capables de sentiment, et répéta mille fois avec une joie puérile : Onyx cum prole silexque – onyx cum prole {118} ! Ah ! mes beaux et charmans bijoux ! mon cœur bondit de vous revoir. Il se tourna ensuite vers Richie, dont la figure stoïque exprimait une sorte de sourire renfrogné, excité par la conduite de Sa Majesté ; mais Jacques interrompit sa joie pour lui dire : – Prenez garde, monsieur, vous ne devez pas rire devant nous ; – nous sommes votre souverain sacré.
– À Dieu ne plaise que je veuille rire ! répondit Richie en rendant à son visage la gravité rigide de sa physionomie naturelle : je ne faisais que sourire, pour que mon visage coïncidât et s’accordât avec la physionomie de Votre Majesté.
– Vous parlez en sujet respectueux et en honnête homme, dit le roi ; mais comment diable vous nommez-vous ?
– Richie Moniplies, fils du vieux Mungo Moniplies du West-Port d’Édimbourg, qui avait l’honneur dans le temps de fournir la table royale de la mère de Votre Majesté, ainsi que celle de Votre Majesté elle-même, de viandes et autres vivres.
– Ah, ah, dit le roi en riant, – car il possédait, comme un attribut utile de son rang, une mémoire fidèle qui l’empêchait d’oublier aucune des personnes avec qui le hasard avait pu le mettre en rapport. – Vous êtes le même traître qui a bien manqué de nous faire tomber sur le pavé de notre propre cour ; mais nous sommes resté ferme sur notre jument. Equam memento rebus in arduis servare {119} Bien, n’ayez aucune peur, Richie ; car il y a tant de gens qui sont devenus traîtres, qu’il faut bien qu’un traître, par-ci par-là, devienne, contrà expectanda {120} , un sujet fidèle. Comment nos bijoux se trouvent-ils entre vos mains ? – Venez-vous de la part de George Heriot ?
– Nullement, dit Richie : n’en déplaise à Votre Majesté, je viens, comme combattait Henry Wynd, exclusivement pour mon compte, et sans en avoir été chargé par personne ; aussi vrai que je ne reconnais d’autres
Weitere Kostenlose Bücher