Les Aventures de Nigel
satisfait en songeant que son service à table, derrière la chaise de son maître, serait récompensé par une chère telle qu’il n’en avait encore vu que bien rarement.
M. David Ramsay, ce profond et ingénieux artiste, arriva sans accident dans Lombard-Street à l’heure fixée, bien lavé, bien brossé, bien nettoyé de la suie de sa forge et de ses fourneaux. Sa fille, qui l’avait accompagné, avait environ vingt ans. Elle était fort jolie, très-réservée ; mais des yeux noirs pleins de vivacité démentaient de temps en temps l’expression de gravité à laquelle le silence, la discrétion, un bonnet de velours et une collerette de batiste condamnaient mistress Marguerite, comme fille d’un tranquille citadin.
Il s’y trouvait aussi deux autres marchands de Londres, portant d’amples habits, et des chaînes d’or qui faisaient plusieurs fois le tour de leur cou ; hommes avancés dans le monde, pleins d’expérience dans leur état, mais qui n’exigent pas de nous une description plus particulière ; et avec eux un membre du clergé, déjà avancé en âge, portant le vêtement distinctif de sa profession ; vénérable personnage dont les manières annonçaient qu’il partageait la simplicité des ouailles confiées à ses soins.
Nous pouvons nous borner à ce peu de mots pour ce qui les concerne ; mais il n’en est pas de même de sir Mungo Malagrowther de Girnigo-Castle, qui exige de nous un peu plus d’attention, comme offrant en sa personne des traits caractéristiques du temps où il vivait.
Ce bon chevalier frappa à la porte de maître Heriot précisément à l’instant où le premier coup de midi sonnait, et il était assis avant que le dernier se fût fait entendre. Cela lui fournit l’occasion de lancer quelques sarcasmes contre ceux qui arrivaient plus tard que lui, sans compter quelques traits décochés contre ceux qui avaient été assez indiscrets pour se montrer trop tôt.
N’ayant guère d’autres propriétés que son titre, sir Mungo avait été attaché à la cour, dès sa première jeunesse, en qualité d’ enfant de fouet du roi Jacques VI, comme on appelait alors cette place, et il avait été instruit dans toutes les sciences, avec Sa Majesté, par son célèbre précepteur George Buchanan. La place d’enfant du fouet condamnait le malheureux qui en remplissait les fonctions à recevoir toutes les punitions corporelles que l’oint du Seigneur, dont la personne était sacrée, pouvait mériter dans le cours de ses voyages à travers la grammaire et la prosodie. Il est bien vrai que, sous la discipline sévère de George Buchanan, qui n’approuvait pas ce mode de châtiment par procuration, Jacques supportait lui-même la peine de ses fautes, et Mungo Malagrowther jouissait d’une sinécure ; mais l’autre pédagogue de Jacques, maître Patrice Young, remplissait plus littéralement ses fonctions, et faisait frémir le jeune roi jusqu’au fond de l’ame par les coups dont il accablait l’enfant du fouet lorsque la tâche royale n’était pas convenablement accomplie. Et il faut dire à l’éloge de Mungo, que, sous certains rapports, il convenait admirablement à sa place officielle. Il avait, dès sa plus tendre jeunesse, les traits naturellement grotesques et irréguliers ; et, lorsqu’il était agité par la crainte, la douleur ou la colère, il ressemblait à une de ces figures bizarres qu’on voit sur les corniches gothiques. Il avait aussi la voix aigre et grêle, et lorsqu’il était à la torture sous les verges de l’impitoyable maître Patrice Young, l’expression de sa physionomie grotesque, et ses cris, qui ne semblaient avoir rien de commun avec la voix humaine, étaient faits pour produire sur le monarque qui avait mérité le fouet tout l’effet qu’on pouvait attendre de la vue d’un innocent portant la peine des fautes d’un coupable.
Ce fut ainsi que sir Mungo Malagrowther (car il devint chevalier) fut introduit à la cour. Tout autre que lui en aurait tiré avantage et s’y serait maintenu ; mais, quand il devint trop grand pour être fouetté, il se trouva n’avoir aucune qualité qui le rendît recommandable : un esprit caustique, une humeur mordante, une habitude de malice, un sentiment d’envie contre tous ceux qui étaient plus favorisés que le possesseur de qualités aussi aimables, qualités qui n’ont pas toujours été, il est vrai, des obstacles insurmontables à l’avancement d’un courtisan,
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