Les Aventures de Nigel
surtout lorsqu’elles se trouvent amalgamées avec une certaine dose de prudence et d’adresse, et sir Mungo n’en possédait pas un grain. Ses satires emportaient la pièce, son envie ne pouvait se cacher ; et à peine était-il majeur, qu’il se fit un si grand nombre de querelles, qu’il aurait fallu les neuf vies d’un chat pour y faire face.
Dans une de ces rencontres il reçut (nous devrions peut-être dire heureusement) une blessure qui le mit hors d’état de répondre à de pareilles invitations. Sir Rullion Rattray de Ranagullion lui abattit, dans un combat à mort, trois doigts de la main droite, ce qui le mit dans l’impossibilité de manier le sabre ou l’épée à l’avenir. Quelque temps après, ayant composé des vers satiriques contre lady Cockpen, il fut si maltraité par quelques individus chargés de le châtier, qu’on le trouva à demi mort, avec une cuisse cassée, sur la place où il avait reçu cette correction. Cette jambe fut si mal remise, qu’il resta boiteux, pour le reste de sa vie. Ce double accident, tout en ajoutant à l’air grotesque de cet original, le mit du moins à l’abri des conséquences plus dangereuses de son humeur, et il vieillit au service de la cour, assuré contre la perte de la vie et des membres qui lui restaient, mais sans s’y faire des amis, et sans y obtenir aucun avancement.
Il est bien vrai que le roi s’amusait quelquefois de ses saillies caustiques, mais jamais il n’eut assez d’adresse pour saisir l’occasion favorable ; et ses ennemis, qui dans le fait composaient la totalité de la cour, trouvaient toujours le moyen de lui faire perdre la faveur de son maître. Le célèbre Archie Armstrong eut la générosité de lui offrir un jour un pan de son habit de fou, afin de lui communiquer ainsi les privilèges et les immunités d’un bouffon de profession, car, disait l’homme à la marotte, sir Mungo, de la manière dont il agit, ne gagne à un bon mot que le pardon que lui accorde le roi pour l’avoir prononcé.
Même à Londres, la pluie d’or qui tombait autour de lui ne fit pas revivre la fortune de sir Mungo Malagrowther. En vieillissant il devint sourd et acariâtre ; il perdit même cette vivacité qui avait animé ses sarcasmes, et il n’était plus qu’enduré par Jacques, qui, quoique lui-même presque aussi avancé en âge, conservait à un degré peu ordinaire et même absurde le désir d’être entouré de jeunes gens.
Sir Mungo, arrivé sans fortune à l’automne de ses ans, montrait à la cour sa taille maigre et ses broderies flétries, aussi rarement que son devoir le lui permettait ; il passait son temps et nourrissait son penchant pour la satire en se promenant dans les endroits publics, et surtout dans les ailes de la cathédrale de Saint-Paul, qui étaient alors le rendez-vous général des nouvellistes et de tous les désœuvrés ; s’associant principalement à ceux de ses concitoyens qu’il regardait comme d’une condition inférieure à la sienne. De cette manière, tout en haïssant et méprisant le commerce, il voyait fréquemment les artistes et les marchands écossais qui avaient suivi la cour à Londres. Il pouvait se livrer avec eux à son humeur cynique sans risquer de les offenser beaucoup, car quelques-uns supportaient ses sarcasmes par égard pour sa naissance et pour le titre qu’il portait, et les autres, doués de plus de bon sens, prenant pitié d’un vieillard que ni la nature ni la fortune n’avaient favorisé, lui pardonnaient sa mauvaise humeur.
Du nombre de ces derniers était George Heriot, qui, quoique ses habitudes et son éducation lui eussent appris à porter le respect pour l’aristocratie à un degré qui paraîtrait extravagant aujourd’hui, avait cependant trop d’esprit et de bon sens pour s’en laisser imposer par un homme tel que sir Mungo, ou pour souffrir qu’il prît avec lui des libertés peu convenables : cependant il lui témoignait en toute occasion non-seulement une civilité respectueuse, mais encore de la bonté et de la générosité.
Cette conduite influa probablement sur la manière dont sir Mungo se conduisit en entrant dans l’appartement : il salua très-civilement maître Heriot et une femme âgée ayant l’air un peu sévère, portant une simple coiffe sur sa tête, et qui, sous le nom de ma tante Judith, faisait les honneurs de la maison et de la table du citadin : mais sa physionomie prit un air d’aigreur méprisante quand il
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