Les aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec: Le roman du film
discret, achète le journal qui vient rejoindre un tas d’autres journaux sous son bras. Une revue de presse complète. Il traverse la rue au pas de course et se dirige vers le Palais de l’Élysée. Les gardes Républicains le saluent.
Louis, car c’est ainsi que se nomme cet élégant bureaucrate, a la chance inouïe d’être le secrétaire du Président de la République. La chance, jusqu’à aujourd’hui. Car son travail, plutôt calme et répétitif en temps normal sous ce gouvernement, risque de devenir beaucoup plus compliqué, en ces temps soudain troublés par cette campagne de presse hallucinante.
Quelques instants plus tard, dans le bureau du Président de la République, Armand Fallières, Louis regarde le grand homme d’état qui lit les journaux en silence. Louis est prêt à répondre à ses questions ou à exécuter ses ordres. Et il les attend avec une certaine angoisse. Pourtant il sait que ce candidat du bloc des gauches, élu le 17 janvier 1906 par 499 voix contre 371 à Paul Doumer, Président de la Chambre, est un homme pondéré. Ce républicain modéré et provincial, attaché à ses racines et son terroir gascon, a un physique de bon gros qui rassure. Il incarne depuis plus de cinq ans la République tranquille et triomphante. Et Louis, jeune bureaucrate particulièrement vernis, aime beaucoup son Président.
Le Président Fallières finit par baisser le dernier journal qu’il vient de lire. Il le replie et le jette sur son magnifique bureau Empire.
— Cette histoire de ptérodactyle est grotesque, dit-il. Ils sont décidément prêts à tout pour vendre leurs feuilles de choux ! ?
Louis acquiesce.
— Même Le Gaulois s’y met ! reprend le Président. Quelle honte ! Ils vont réussir à affoler la population, c’est tout ce qu’ils vont gagner.
— C’est fort probable, dit Louis d’une voix mesurée par l’expérience. On ne parle que de ça ce matin dans les cafés.
— Appelez la femme de ce pauvre Pointrenaud et transmettez-lui mes condoléances.
— Bien, Monsieur le Président.
Louis quitte le bureau présidentiel avec la discrétion qu’on attend d’un secrétaire efficace.
Armand Fallières est un homme pondéré. Il se lève en soupirant, et marche jusqu’à la fenêtre. Sur son visage d’ordinaire paisible, on lit un agacement qui monte.
— Un préfet avec une danseuse, passe encore… marmonne-t-il pour lui-même (ça l’aide toujours de parler à voix haute quand il réfléchit). Mais un ptérodactyle ! Au XX e siècle !
Il hausse les épaules, ce qui est chez lui un signe de trouble profond, tant il est mesuré en temps normal. Le voilà avec une affaire énorme sur les bras ! Lui qui ne rêve que d’un septennat sans histoire. Lui qui a travaillé d’arrache pied à consolider la Triple entente entre la France, l’Angleterre et la Russie face à l’Allemagne qui ne rêve que de rompre son isolement et d’étendre son empire colonial en Afrique, au risque de provoquer une guerre ! Un septennat presque achevé, en douceur grâce à ses initiatives discrètes comme l’exige sa fonction qui le place au-dessus des partis. On ne peut lui reprocher grand chose. Même si les caricaturistes ne se gênent pas ! Il a la sensation d’avoir toujours bien fait pour le pays et le peuple de France. Il a choisi avec discernement les hommes appelés à diriger le gouvernement : Clemenceau, Briand, Caillaux et… peut-être Poincaré dans un futur proche.
Non. C’est incroyable ce qui lui arrive ! À lui que le roi Edouard VII d’Angleterre qualifie d’une « intelligence des plus avertie », et qui s’est toujours senti investi d’une mission pour la France ! Bien sûr, il y a eu ces histoires de peine de mort. Il y a toujours été fondamentalement, viscéralement opposé. Mais la dernière campagne de presse réclamant l’exécution de Soleilland lui a fait beaucoup de mal devant l’opinion publique. Surtout quand il l’a gracié…
Mais un ptérodactyle ? À notre époque ? Non, c’est trop…
À cet instant précis, le monstre échappé du Jardin des Plantes passe en coup de vent, là, devant ses fenêtres de l’Élysée ! Fallières sursaute, pousse un cri et porte une main à son cœur. Dans l’ordre qu’on voudra. Mais ce cri provoque l’entrée immédiate de Louis dans le bureau présidentiel.
— Vous m’avez demandé, Monsieur le Président ? demande le secrétaire, empressé et
Weitere Kostenlose Bücher