Les aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec: Le roman du film
qui la traverse comme un immense serpent étincelant sous le soleil d’hiver. Le ptérodactyle est encore malhabile comme tous les très jeunes animaux, qu’ils viennent du Jurassique ou qu’ils soient nés à Paris – ce qui est également son cas, malheureusement pour lui. Il erre dans le ciel de la capitale, comme un vautour en quête d’une proie.
Comme il fait un froid de canard, les Parisiens ne lèvent pas trop le nez, ils ont tendance à regarder leurs pieds pour éviter d’éventuelles plaques de glace, et ce malgré l’intense campagne de presse qui les alerte sur le monstre aérien. Heureusement pour eux.
Le reptile volant se soucie bien peu des terribles problèmes qu’il pose sans le savoir. Mais quelque chose semble l’appeler. Et ça, dans son vol silencieux au-dessus des toits, il l’entend, de plus en plus présent. C’est comme un son lointain, une vibration, un cri qui sonne familier, comme si l’un de ses parents était là, dans ce paysage inconnu de lui et de sa jeune mémoire. Le ptérodactyle cherche sa provenance. C’est l’instinct qui l’anime. C’est tout bête, l’instinct…
Dans son salon de la place des Pyramides, encombré de tous ces objets qui sont toute sa vie de savant et d’érudit, le Professeur Espérandieu bat des bras comme il le faisait la dernière fois que nous nous étions intéressé à lui. D’une voix extatique, il murmure, de plus en plus fort.
— Viens ! Viens !
Dans le ciel, le ptérodactyle survole les Tuileries, il hésite, se rapproche en cercles larges de la place où se dresse la statue de Jeanne d’Arc, indûment arrosée par Ferdinand Choupard quelque temps auparavant, lors de cette nuit qui l’a marqué à vie.
L’animal plus que millénaire rechigne à descendre. Des voitures, des fiacres, et pas mal de ces êtres étranges qui peuplent son nouveau territoire s’agitent bruyamment en dessous de lui, ignorant qu’il pourrait, d’un seul piqué, en détruire ou en avaler quelques-uns. Sans prêter à mal. C’est juste son instinct de prédateur qui le guide, et qui le guidera toujours…
Mais il y a ce mystérieux appel, comme une voix qui s’adresse à lui dans des mots qu’il ne connaît pas… Il descend, il descend…
Viens, viens ! dit Espérandieu de plus en plus fort, tétanisé dans son salon.
Puis le vieux Professeur se tait soudain. Sa double fenêtre du 4 e étage est grande ouverte et le ptérodactyle vient de se poser, griffant de ses serres acérées la rambarde de la fenêtre. Il contemple l’être étrange qui lui murmure doucement des choses qu’il ne comprend pas, mais il n’y a aucune agressivité dans la voix de ce vieillard, de cet humain bizarre qui arrive à lui parler. L’animal ouvre ses grands yeux de reptile, perplexe.
— Viens, viens à moi, je t’en supplie !… Viens ! dit Espérandieu à mi-voix, avec une extrême douceur.
Mais la bête hésite.
En bas, sur la Place des Pyramides, le premier badaud qui lèverait le nez pourrait distinguer la silhouette du jeune monstre volant, sur la rambarde du balcon du 4 e d’un des immeubles qui entourent Jeanne d’Arc de trois côtés. L’animal finit par entrer dans l’appartement du Professeur Espérandieu, auteur du célèbre ouvrage (enfin, célèbre dans certains milieux bien informés) : Y- a- t-il une vie après la mort ?
C’est à cet instant précis que Caponi sort de la voiture de fonction qui l’amène justement chez Espérandieu. Il regarde le papier que lui a remis le Professeur Ménard et s’adresse à son principal sous-fifre.
— C’est ici, au numéro 4, Bertrand ? dit-il. Allez me chercher un café bien noir et quelque chose à manger ! J’arrive pas à réfléchir quand j’ai l’estomac vide !
Et quand on observe l’embonpoint de l’Inspecteur Caponi, presque passé Commissaire par la grâce de toute une chaîne hiérarchique dont il ignore les tenants et les aboutissants, on le comprend. Il a un corps à nourrir. Et un cerveau.
Au 4 e étage, le ptérodactyle s’est avancé prudemment au milieu du salon, malhabile dans sa démarche et encombré par ses larges ailes et son long bec.
Le Professeur Espérandieu, d’un air ravi, s’est levé de son fauteuil. Il s’est rendu dans sa cuisine, et maintenant, il jette des côtes de bœuf entières que l’animal attrape au vol. Espérandieu avait apparemment prévu que son expérience
Weitere Kostenlose Bücher