Les Aveux: Nouvelle Traduction Des Confessions
impression reste après leur passage. C’est celamême que je mesure quand c’est présent. Et non pas ce qui est passé et
qui t’a affecté. C’est ce que je mesure quand je mesure les temps. Donc,
ou bien cet affect est le temps ou bien je ne mesure pas le temps. Mais dans
le cas où nous mesurons des silences ? Un silence aura duré aussi longtemps qu’un son émis par la voix. La pensée s’efforce de mesurer le temps
que dure un silence comme s’il s’agissait d’une voix qui se faisait entendre.
Et d’ailleurs, nous récitons en pensée chants, vers et discours, sans parler
à haute voix. Et nous estimons l’étendue de leur durée, les rapports réciproques de leurs durées, comme si nous les prononcions à voix haute.
Quelqu’un veut prononcer un assez long discours. Il a anticipé sa
longueur en pensée, et en a évidemment estimé en silence la durée.
Confiant le tout à sa mémoire, il commence son discours à voix haute
et le poursuit jusqu’à son terme. Ou plutôt, on en a entendu une partie,
et on en entendra encore une autre. On a entendu ce qui a déjà été prononcé, et on entendra ce qu’il lui reste à prononcer. C’est ça prononcer
un discours au présent : faire passer intentionnellement le futur dans le
passé. Le passé augmente à mesure que diminue le futur jusqu’à ce que
plus rien ne reste du futur et que tout soit devenu passé.
37.
Futur : ce qui n’est pas encore. Comment peut-il diminuer ou disparaître ?
Passé : ce qui n’est plus. Comment peut-il augmenter ?
Par une triple action de l’esprit. Attente, attention, mémorisation.
L’objet de son attente traverse son attention et passe dans sa mémoire.
Le futur n’existe pas encore. C’est indéniable. On a pourtant à
l’esprit l’attente du futur.
Le passé n’existe plus. C’est indéniable. On a pourtant à l’esprit la
mémoire du passé.
Le présent ne s’étend pas. C’est un point qui passe. C’est indéniable.
L’attention perdure pourtant. Elle conduit à l’absence ce qui sera.
Ce temps futur qui n’est pas n’est donc pas long. Un long futur, c’est
une longue attente du futur. Et ce temps passé qui n’est plus n’est donc
pas long non plus. Un long passé, c’est un long souvenir du passé.
38.
Je suis sur le point de chanter un air que je connais. Avant de commencer, je me tends par anticipation vers l’ensemble du chant. Je commence. Ce que je chante se détache progressivement de mon anticipation pour rejoindre le passé. Ma mémoire se tend. Résultat : mes forces
vives sont tendues entre la mémoire de ce que je viens de dire et
l’attente de ce que je vais dire. Mais reste mon attention, trajectoire du
futur vers le passé. Plus cela avance, avance, plus l’attente s’abrège et
plus le souvenir s’allonge jusqu’à l’épuisement complet de l’attente.
L’action de chanter est terminée. Ce n’est plus qu’un souvenir.
Ce qui vaut pour le chant tout entier vaut pour chacune de ses parties, chacune de ses syllabes. Et vaut pour quelque chose de plus vaste
dont le chant n’est peut-être qu’une petite partie. Et vaut pour toute la
vie humaine dont les parties sont les actions humaines. Et vaut pour
tous les siècles des générations humaines dont les parties sont toutes les
vies humaines.
39.
Ton amour est meilleur que la vie. Ma vie à moi n’est que tension.
Ton bras droit m’a rendu fort dans l’amour de mon Seigneur. Fils de
l’homme, médiateur entre toi unique et nous multiples qui nous multiplions dans le multiple.
Oh. Je m’empare de lui qui s’est emparé de moi 6 .
Et quittant les jours anciens, je me rassemble derrière l’unique.
Le passé oublié, les choses futures transitoires abandonnées. Je suis
tendu sans déchirure vers ce qui est tout devant. Tension qui ne déchire
pas. Je réponds à l’appel de la victoire tout là-haut. Où j’entends la voix
de la louange.
Contempler tes délices ni futurs ni passés.
Aujourd’hui, mes années se sont perdues en soupirs. Tu es ma consolation. Tu es, Seigneur, mon père éternel.
Je me dissous dans le temps (je ne connais pas l’ordre du temps).
Convulsions qui lacèrent mes pensées, mes viscères. Jusqu’à ce que je
coule en toi. Purifié. Liquéfié dans le feu de ton amour.
40.
Je serai immobile et solide avec toi. Dans la ressemblance à ta vérité.
Je n’aurai plus à affronter les questions des hommes condamnés à souffrir d’une soif qu’ils
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