Les Aveux: Nouvelle Traduction Des Confessions
plus court,
prononcé plus lentement, que pour un vers plus long prononcé rapidement. Même chose pour un chant, un pied, une syllabe.
Ce qui m’a conduit à penser que le temps n’est rien d’autre que tension. Sans savoir de quoi. De l’esprit peut-être, ce ne serait pas étonnant.
Qu’est-ce que je mesure, je te le demande mon Dieu, quand je dis
vaguement que tel temps est plus long qu’un autre, ou précisément que
tel temps est le double d’un autre ? Je sais que je mesure le temps mais
je ne mesure pas le futur, il n’est pas encore. Je ne mesure pas le présent, il n’a pas d’étendue. Je ne mesure pas le passé, il n’est plus. Qu’est-ce que je mesure alors ? le passage du temps et non le passé ? C’est bien
ce que j’avais dit.
34.
Mon esprit. Tiens bon. Sois très attentif. Dieu est notre refuge. C’est
lui qui nous a faits. Pas nous. Sois attentif à l’aube de la vérité qui blanchit. Écoute. Une voix. Elle se fait entendre. Continue. Continue
encore et s’arrête. Silence. La voix est passée. Plus une voix. Future
avant de se faire entendre. Impossible donc de la mesurer. Elle n’était
pas encore. Et maintenant, impossible aussi : elle n’est plus. C’était
donc possible uniquement quand on l’entendait. C’était quelque chose
de mesurable. Mais la voix ne s’arrêtait pas. Elle enflait. Elle passait.
Était-ce vraiment mieux ? En passant, elle se déployait dans une sorte
de durée spatiale où elle pouvait se mesurer puisque le présent n’a pas
de durée. On pouvait donc la mesurer. Prenons alors un autre exemple.
Une autre voix se fait entendre. Sur un ton continu. Aucune interruption. Mesurons-la tant qu’elle dure parce que quand elle s’arrêtera, elle
sera passée et ne sera plus rien de mesurable. Mesurons avec exactitude, disons combien elle dure. Mais elle se fait toujours entendre. Or
on ne peut la mesurer que depuis son commencement, depuis qu’elle
s’est fait entendre, jusqu’à la fin, à son arrêt. C’est cet intervalle que
nous mesurons, d’un commencement donné à une fin donnée. Impossible donc de mesurer une voix qui ne s’est pas encore arrêtée. On ne
peut mesurer sa longueur ou sa brièveté. On ne peut la comparer à une
autre et dire si elle est égale, une fois ou deux fois plus longue, ou autre
chose. Mais quand elle se sera arrêtée, elle ne sera plus. Comment alors
la mesurer ?
Pourtant nous mesurons les temps. Ni les pas encore, ni les déjà plus,
ni les sans durée, ni les sans fin. Nous ne mesurons ni le futur ni le passé
ni le présent ni le temps qui passe. Mais nous mesurons des temps.
35.
Deus creator omnium
(Dieu créateur de tout) 5
Dans ce vers de huit syllabes, alternent des syllabes brèves et longues.
Quatre brèves : la première, la troisième, la cinquième, la septième.
Simples par rapport aux quatre longues : la deuxième, la quatrième, la
sixième, la huitième. Elles valent un temps double par rapport aux
brèves. En les prononçant, je révèle leur durée. Perception sensible et
manifeste. Pour autant qu’une perception est manifeste, je mesure les
longues par les brèves et je sens qu’elles valent deux fois plus. Mais
quand elles résonnent l’une après l’autre, si la brève vient avant la
longue, comment retenir la brève pour l’appliquer à la longue, la mesurer et trouver qu’elle vaut deux fois plus, puisque pour entendre la
longue il faut ne plus entendre la brève ? Et est-ce que je mesurerais la
longue quand elle est là alors que je ne peux la mesurer que finie ? Et
quand elle a fini, elle est passée.
Qu’est-ce que je mesure alors ? Où est la brève qui me sert de
mesure ? Où est la longue que je mesure ? On les a entendues toutes les
deux et elles se sont envolées. Elles sont passées. Elles ne sont déjà plus.
Et moi je mesure. Je réponds avec assurance, pour autant qu’on peut
être sûr d’un sens exercé, l’une est simple, l’autre double, en terme de
durée bien évidemment. Et ce n’est possible que parce qu’elles sont
passées et qu’elles sont finies. Ce que je mesure, ce ne sont pas elles-mêmes qui ne sont plus mais quelque chose dans ma mémoire, qui est
toujours là.
36.
C’est en toi, mon esprit, que je mesure les temps. Ne t’en prends pas
à moi. Ne t’en prends donc pas à toi-même dans la masse de tes impressions.
Je dis que c’est en toi que je mesure les temps. Tu es affecté par les
choses qui passent. Et cette
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