Les Aveux: Nouvelle Traduction Des Confessions
parents. Et tout un épineux buisson de désirs
poussa au-dessus de ma tête. Personne n’a pu l’en arracher.
Bien au contraire. Un jour, aux bains, mon père s’est aperçu de ma
puberté, du trouble de mon adolescence. Impatient d’avoir des petits-enfants, il annonça tout heureux la nouvelle à ma mère. Il était gagné par
l’ivresse de ce monde qui t’a oublié, toi son créateur, et qui aime ta créature plus que toi. Effets du vin invisible de ses désirs pervers et déviants.
Mais si dans le sein maternel, tu avais déjà l’ébauche de ton temple
et l’origine de ta sainte habitation, tandis que mon père n’était encore
catéchumène en ce temps-là que depuis peu.
Ma mère fut terrorisée, en proie à un désordre sacré. Je n’étais pas
encore un fidèle mais elle craignait déjà pour moi les chemins tordus
qu’empruntent ceux qui te montrent leur dos plutôt que leur visage.
7.
Hélas. Comment oser dire que tu ne disais rien, mon Dieu, alors que
je m’éloignais toujours plus de toi ? Tu ne me disais rien ? mais alors si
elles n’étaient pas de toi, de qui étaient ces paroles que tu faisais chanter à mes oreilles par la voix de ma mère, ta fidèle ? Mais aucune n’a touché mon cœur pour m’inciter à réagir.
Je garde au fond de moi le souvenir de sa recommandation pleine
d’affection : pas de relations sexuelles, et surtout pas d’adultère avec la
femme de qui que ce soit. Pure recommandation féminine, ai-je pensé.
Lui obéir m’aurait fait honte. Or c’était ta recommandation, et je ne le
savais pas. Je pensais que tu ne disais rien, que c’était elle qui parlait
alors qu’à travers elle tu ne me disais pas rien justement, et qu’à travers
elle, moi je te méprisais, moi son fils, fils de ta servante ton esclave. Mais
je ne le savais pas. Et la tête basse, je m’aveuglais au point que, parmi
les garçons de mon âge, j’avais honte d’être moins obscène qu’eux
quand je les entendais se vanter de leurs débauches. Plus c’était sale,
plus on était admiré. Notre plaisir n’était pas tant d’assouvir nos désirs
que de susciter l’admiration des autres.
Quoi de plus condamnable que le vice ? Eh bien moi, pour ne pas
être condamné, je devais être plus vicieux encore. Et s’il m’arrivait
d’être en deçà de la dépravation des autres, j’inventais des actes que je
n’avais pas commis pour ne pas apparaître plus abject d’être plus innocent ni plus obscène d’être plus chaste.
8.
Avec mes camarades, j’ai arpenté les rues de cette Babylone. Je me
suis vautré dans la fange comme dans de la cinnamome ou des nards
précieux. Je ne quittais plus l’ombilic de cette Babylone où un ennemi
invisible me piétinait et me séduisait. J’étais si facile à séduire.
Ma mère avait déjà fui le cœur de cette Babylone. Elle ne s’attardait
plus que dans les faubourgs. La mère de ma chair m’avait engagé à la
pudeur. Elle s’est inquiétée des propos de son mari sur mon compte.
C’était suffisamment malsain, jugea-t-elle. Cela compromettait déjà tout
amour conjugal, à l’avenir. Il aurait fallu tailler dans le vif, mais elle abandonna par crainte de faire obstacle aux espoirs qu’on mettait en moi. Il
ne s’agissait pas de ces espoirs que ma mère plaçait en toi pour les sièclesfuturs mais de l’espoir d’une formation lettrée que chacun de mes deux
parents voulait à tout prix que je connaisse, mon père parce qu’il ne pensait presque rien de toi et ne songeait qu’à des futilités pour moi, ma
mère parce qu’elle estimait que ces études et cette formation ne pouvaient pas me nuire et pourraient même m’aider plus tard à te rejoindre.
C’est à peu près ce que je devine des désirs de mes parents, à
l’époque. Ils n’étaient pas très sévères et me laissaient libre. J’allais jusqu’à me dissoudre dans de nombreuses passions. Chacune d’elles renfermait une part obscure qui m’interdisait, mon Dieu, d’avoir accès à ta
vérité. La méchanceté suintait de mes pores.
9.
Le vol est bien puni par ta loi, Seigneur, mais aussi par la loi écrite
dans le cœur de l’homme, et être injuste soi-même ne suffit pas à l’effacer. Quel voleur en effet supporte sans broncher d’être volé à son tour ?
Pas même s’il est richissime et l’autre acculé à la plus grande misère.
Eh bien moi, j’ai voulu faire un vol sans y être acculé par la nécessité,
mais par absence et
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