Les Aveux: Nouvelle Traduction Des Confessions
route et partir vivre dans une région lointaine pour
y dissiper en prodigue ce que tu lui avais donné à son départ – père
doux, car tu as donné, et plus doux encore quand il est revenu dans un
dénuement complet 11 .
Libido dissolue, sombres affects, loin de ton visage.
29.
Seigneur Dieu, tu peux voir, avec patience comme tu sais voir, oui tu
peux voir avec quel scrupule les fils des hommes observent les conventions des lettres et des syllabes, qu’ils ont héritées de ceux qui parlaient
avant eux, et parallèlement comme ils négligent celles qu’ils ont héritées
de toi, les conventions éternelles du salut perpétuel. Et si quelqu’un qui
connaît bien ou même qui enseigne ces vieilles conventions sur les sons,
prononce, contre l’usage grammatical, le mot homme sans aspirer la première syllabe, déplaira davantage aux hommes que si, contre tes lois, il
hait un homme, alors qu’il n’est qu’un homme lui aussi. Devons-nousdavantage craindre l’animosité d’un homme contre nous plutôt que les
effets de notre propre haine sur lui ? La destruction d’autrui que l’on
persécute est-elle moins grave que la destruction de notre cœur par la
haine qu’on lui voue ?
La science des lettres n’est pas plus intime que cette conscience
écrite : ne pas faire à autrui ce qui est insupportable pour soi 12 .
Que tu es secret dans les hauteurs dans le silence
Dieu
et seul et immense
Loi infatigable disséminant aveuglements vengeurs sur désirs interdits
Ainsi un homme cherche à briller par son éloquence devant un juge,
entouré d’une multitude d’hommes. Il poursuit son ennemi d’une haine
implacable. Il prononcera scrupuleusement, sans une faute, l’expression parmi les hommes , mais son esprit furieux n’aura aucun scrupule à
supprimer un homme parmi les hommes .
30.
Enfant, voilà le genre de vie que j’inaugurais et dans lequel je me vautrais comme un malheureux. Avec dans cette arène pour seule gymnastique de redouter davantage de faire un barbarisme que de m’appliquer, si j’en faisais un, à ne pas jalouser ceux qui n’en faisaient pas.
Ce que je te dis, que je t’avoue, mon Dieu, m’a valu les félicitations
de tous ceux que je devais séduire, pensais-je, pour vivre honnêtement.
Je ne voyais vraiment pas le gouffre d’abjections dans lequel j’avais
été rejeté loin de tes yeux.
Quoi de plus répugnant que moi ? J’allais jusqu’à fâcher ces gens-là.
Je trompais par d’innombrables mensonges pédagogues, maîtres,parents, par amour du jeu, avec une faiblesse particulière pour les spectacles légers qu’il me plaisait follement d’imiter.
Je chapardais au cellier, à la table des parents, tellement j’étais glouton, ou pour avoir quelque chose à donner aux autres enfants qui
s’amusaient comme moi, mais qui me faisaient payer ainsi le droit de
jouer avec eux. Et même en jouant, j’étais vaincu par mon propre désir
de gagner, et je trichais souvent pour de frauduleuses victoires.
Mais si j’en surprenais un faire ce que je ne supportais pas, je l’accusais violemment, précisément parce que c’était ce que je faisais moi-même aux autres. Et pris sur le fait à mon tour, et accusé, j’aimais mieux
exploser de colère que de reconnaître les faits.
C’est cela l’innocence de l’enfance ?
Non, Seigneur, non, n’est-ce pas ? je te le demande, mon Dieu.
Non, rien ne change de fait, quand on passe des pédagogues et des
maîtres, avec les noix, les balles et les passereaux, aux préfets et aux
rois, avec l’or, les propriétés, les esclaves. On retrouve exactement les
mêmes choses à l’âge adulte : aux férules des maîtres succèdent simplement de plus grands supplices.
C’est donc l’humilité plutôt que tu as voulu symboliser par la petite
taille des enfants quand toi, notre roi, tu as dit : le royaume des cieux
appartient à ceux qui leur ressemblent 13 .
31.
Malgré tout, Seigneur, je te remercie, très excellent, très bon fondateur et chef de l’univers, notre Dieu, même si tu avais voulu que je ne
sois qu’un enfant.
Oui, déjà j’existais, je vivais, j’éprouvais des sentiments. Je préservais
mon intégrité, vestige de la très secrète unité d’où j’étais issu. Je protégeais par un instinct intérieur la probité de mes sentiments. Et je prenais
plaisir à la vérité dans mes plus petites pensées sur le moindre détail.
Je ne voulais pas être trompé. J’avais une bonne
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