Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale

savais quels travaux avaient été abandonnés le 22 juin 1941. La seule réponse dissuasive qui m’est venue à l’esprit sur le coup a été de secouer la tête et de marmonner : « À un moment donné ». Il n’a pas insisté.
     
    C’est en 1942 que Cairncross commença à sortir régulièrement du Park des messages déchiffrés afin de les transmettre à son contrôleur, Anatoli Gorsky, qui était de l’ambassade de Russie à Londres. Apparemment, il justifiait ses actes par un mécontentement envers la rétention d’informations militaires vitales de la part de la Grande-Bretagne vis-à-vis de son allié russe. En fait, à partir de 1941, Churchill avait, pour des raisons tactiques, fourni lui-même à Staline des informations glanées à Bletchley Park. Plus Hitler rencontrerait de difficultés sur le front de l’Est, mieux ce serait pour les Alliés. Cependant, l’attitude de Cairncross aurait pu avoir des conséquences réellement catastrophiques.
    Même s’ils connaissaient l’existence de Bletchley Park, les Russes ignoraient la provenance exacte des messages qui y étaient déchiffrés. La sécurité intérieure de la Russie était défectueuse. Il existait donc le risque que leur service de renseignement n’alerte les Allemands du déchiffrement systématique de toutes leurs communications. Autrement dit, Cairncross risquait de compromettre toute l’opération menée à Bletchley Park et, par là-même, de sacrifier un nombre incalculable de vies, uniquement par idéologie.
    En fait, Cairncross parvint à faire passer tellement de matière première à ses amis soviétiques que le signal d’alarme retentit au sein de la Loubianka. Les Russes croyaient simplement qu’il était impossible pour un seul homme de dérober des documents aussi confidentiels et sensibles et de les amener à Londres pour les transmettre. On flaira dans un premier temps un piège. Aucun système de sécurité ne pouvait s’avérer aussi perméable. Mais les Russes passèrent outre leurs premiers doutes et soupçons, secouèrent la tête, recoupèrent les informations et découvrirent qu’elles étaient tout à fait exactes. Grâce à Cairncross et à ses messages déchiffrés, par exemple, ils surent à l’avance et en se basant sur des rapports sur l’armement allemand qu’il leur fallait concevoir des chars au blindage renforcé.
    Dans la série télévisée de la BBC Cambridge Spies , on laisse curieusement entendre que Cairncross se sentait terriblement mal à l’aise de livrer des informations aux Russes. Selon cette fiction, Anthony Blunt commença à brandir des menaces s’il lui venait l’idée de faire machine arrière. Aujourd’hui, il y en a même qui considèrent les actes de Cairncross de manière plus positive, à savoir que les informations glanées à Bletchley ont permis aux Soviétiques de remporter la bataille de Koursk, combat obscur mais sanglant qui se déroula près de Kiev en 1943. En effet, Cairncross s’attribuait même volontiers le mérite de cette victoire, laquelle avait, selon lui, contribué à la défaite finale de l’Allemagne. Selon ses partisans, malgré le caractère dangereux de sa conduite, dont les conséquences auraient pu être horribles, celle-ci a contribué, certes indirectement, à mettre fin à la guerre.
    Il est possible qu’il s’écoule de nombreuses années avant que toute la lumière soit faite. Mais une question se pose : le MI6 était-il si peu au courant des agissements de Cairncross ? Il est certes resté pendant un moment dans l’ignorance des activités de Philby, Burgess, MacLean et Blunt, mais même si ces quatre individus gravitaient dans les hautes sphères du renseignement, ils ne travaillaient pas au sein de la plus sensible des institutions du pays, même s’il s’en était fallu de peu. Aurait-il convenu aux autorités britanniques de transmettre aux Russes des bribes d’information à des moments clés afin de favoriser leur lutte contre l’Allemagne ?
    Les Allemands envahirent la Russie en juin 1941 dans le cadre de l’opération Barbarossa, faisant voler en éclats le pacte de non-agression Molotov-Ribbentrop de 1939. Certains ont émis l’hypothèse selon laquelle Churchill pensait qu’Hitler allait passer à l’offensive dès novembre 1940. Les soupçons du Premier ministre avaient été réduits à néant aussi bien par les canaux diplomatiques que par les messages déchiffrés à Bletchley Park. Et, sans aucun