Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
comprendre. Cependant, selon Peter Calvocoressi, le renseignement russe ne perçut jamais l’ampleur de la réussite du Park (voire la méthode).
L’histoire de Cairncross est doublement surprenante de par la facilité avec laquelle ces messages bruts ont pu être subtilisés dans l’enceinte de Bletchley Park. Lorsque les services de sécurité ont investi son appartement en 1951, ils découvrirent des milliers de pièces à conviction. En dix ans, il avait transmis quelque 6 000 documents au Kremlin. Dans le roman de Robert Harris, il est fait mention d’un bout de texte chiffré subtilisé difficile à dissimuler. Dans l’histoire de Cairncross, un homme a apparemment réussi à sortir du Park en toute impunité un grand nombre d’éléments.
Il semble, ce qui est d’ailleurs presque paradoxal, que Bletchley, l’opération la plus secrète de Grande-Bretagne, n’ait jamais été officiellement contrôlée de manière sérieuse. Par exemple, les personnes qui sortaient du Park ne passaient apparemment pas à la fouille systématique. Les mouvements n’étaient pas non plus surveillés, à moins que la surveillance ait été très discrète et même pas repérée par les espions. Néanmoins, le récit de Cairncross de ce trafic d’informations est aujourd’hui difficile à croire. Il écrivait ainsi :
… il n’y avait aucun problème pour obtenir les messages allemands déchiffrés car ils étaient laissés par terre une fois traités. J’y ai également ajouté le fruit de mes propres traductions en anglais pour étoffer la collection de documents. Pour les sortir de l’enceinte, je les dissimulais dans mon pantalon et je n’ai jamais été contrôlé. Une fois parvenu à la gare, je les rangeais dans mon sac.
Ils étaient ensuite glissés dans une enveloppe, puis remis à Henry [le nom de code de son officier traitant soviétique] dans la banlieue ouest de Londres. Je le rejoignais à l’entrée de la station de métro, le suivais jusque sur le quai, puis je sortais de la rame quand il descendait. Je le suivais jusqu’à un endroit tranquille où je lui remettais l’enveloppe.
On se demande si la sécurité pouvait être à ce point laxiste. Ne serait-il pas plus sensé d’estimer que les autorités du Park et le MI5 savaient exactement ce que trafiquait cet homme et faisaient en sorte qu’il prenne des bribes d’information dont la transmission minimisait les conséquences ? Vu la lutte très efficace menée contre toutes les minuscules fuites accidentelles, il est pratiquement inimaginable que quelqu’un ait pu sortir d’un tel site, après les avoir fourrés dans son pantalon, les messages déchiffrés dont il avait précisément besoin et trouvés, à même le sol, parmi des fragments de messages et de bulletins météorologiques.
Encore une fois, dans ses Mémoires, Cairncross s’attribue vaniteusement tout le mérite de la victoire soviétique lors de la bataille de Koursk. Selon l’historien Martin Gilbert : « Un message Enigma de la fin avril […] confirma que les intentions allemandes sur le front de l’Est étaient d’isoler les forces soviétiques à Koursk grâce à un mouvement de tenailles… Londres a transmis ces faits à Moscou le 30 avril. » Plusieurs heures avant le début de l’attaque allemande, les Russes furent les premiers à passer à l’offensive, frappant les lignes d’artillerie. Cela signifie qu’ils avaient été avertis.
Mais, comme s’en souvient aujourd’hui le capitaine et cryptanalyste Jerry Roberts : « Nous avons pu prévenir les Russes des projets des Allemands, de la façon dont ils allaient s’y prendre, par un mouvement de tenailles. Nous leur avons dit quels groupes d’armées et, surtout, quelles unités de chars allaient être sollicités. Maintenant, je me souviens étrangement avoir déchiffré des messages à propos de Koursk. Ce nom reste gravé dans votre mémoire. Nous devions la boucler et dire que ces informations provenaient d’espions qui formaient une formidable équipe et d’autres sources. » S’il faut attribuer un mérite, n’est-il pas plus raisonnable d’émettre l’hypothèse selon laquelle le commandement de Bletchley Park avait une longueur d’avance sur Cairncross, étrange individu plein d’amertume ?
Mais qu’en est-il de tous ceux qui cherchaient à aider les Soviétiques sans que ne le découvrent les autorités britanniques ? Récemment, la British Library a publié,
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