Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
vingt-cinq ans après sa mort, des Mémoires (de 30 000 mots) rédigés par Anthony Blunt. On y découvre que, bien loin d’éprouver des remords, il semble plus perturbé par le fait d’avoir été cloué au pilori quand on a découvert en 1979 qu’il était une taupe soviétique. Beaucoup affirmeront avec violence que sa trahison a causé la mort de nombreux agents britanniques brillants. Et l’excuse selon laquelle, dans les années 1930, lorsque Cairncross était influencé par le communisme, on savait peu de choses, voire rien, sur la pathologie meurtrière du régime de Staline, ne pèse pas très lourd.
Cependant, malgré le pacte Molotov-Ribbentrop, il n’en demeure pas moins que de 1941 à la fin de la guerre les Russes étaient, pour des raisons froidement pragmatiques, les alliés de la Grande-Bretagne. Par conséquent, leur transmettre des informations susceptibles de les aider à lutter contre les Allemands constituait-il la plus sombre des trahisons ?
Des auteurs tels que Chapman Pincher et Christopher Andrew répondraient d’un ton furieux par un oui net et catégorique. Ils avancent que les actes des Cinq de Cambridge ont entraîné la mort brutale de très nombreux agents britanniques dont l’identité avait été dévoilée. Ajoutez à cela le fait que la fuite d’informations vers Staline, et ce tout au long de la guerre, lui conféra un avantage déloyal au moment de s’entendre avec les Alliés lors de la conférence de Yalta. Et ce fut bien sûr la plus grande trahison de tous les temps. Dans les dernières années de sa vie, Cairncross nia le fait qu’après la guerre il ait transmis des renseignements aux Soviétiques pour les aider à démarrer leur nouveau programme d’armement nucléaire. Pourtant, ces secrets sont bien arrivés entre les mains des Soviétiques, ce qui ne fit rien pour réchauffer le climat d’une guerre froide qui dura plusieurs décennies et maintint contre son gré l’Europe de l’Est sous la coupe d’un régime oppressif.
Malgré ce que peut laisser supposer l’affaire Cairncross, une vigilance de tous les instants était de mise en Grande-Bretagne. En temps de guerre, des comportements inhabituels ou sournois de la part de militaires devaient immédiatement être signalés par des collègues. Parmi la population, on rapportait également de manière régulière aux autorités compétentes les attitudes suspectes.
Et la population remplissait très efficacement son devoir de vigilance, comme le montre une anecdote de 1940. Trois agents allemands (deux hommes et une femme) débarquèrent au large des côtes écossaises d’un sous-marin pour rejoindre, à bord d’un petit canot, Port Gordon, petit village de pêcheurs. Après avoir dissimulé leur embarcation et bien entendu revêtu des habits civils, ils traversèrent le village pour se rendre à la gare, située au sommet d’une colline.
L’un des agents essaya alors d’acheter des billets de train pour eux trois. Il tendit au chef de gare un billet de 50 livres. N’en ayant jamais vu de son existence, ce dernier rejoignit son bureau pour passer discrètement un coup de téléphone et rendre compte de la présence de trois personnes « qui ont l’air louche ». Les trois agents furent arrêtés quelques minutes plus tard et les deux hommes pendus par la suite.
Il se trouve qu’il s’agit du village où est né et a grandi mon père. Il a entendu cette histoire racontée à plusieurs reprises pendant son enfance. Mon père dit que la femme « a fini par épouser quelqu’un du village ». C’est une plaisanterie très drôle, mais il n’en demeure pas moins que les gens ordinaires étaient non seulement sur leurs gardes quant à la présence éventuelle d’espions, mais qu’ils avaient également raison d’être si méfiants.
L’histoire John Cairncross/Bletchley illustre aussi une chose plutôt frappante : ces manquements à la sécurité, s’il s’agissait bien de cela, n’ont pas été si fréquents.
L’étude de Sinclair des Cinq de Cambridge, intitulée The Red and the Blue , dans laquelle la philosophie d’une telle traîtrise a été débattue par Kim Philby et Malcolm Muggeridge à la villa de Victor Rothschild, à Paris, après la Libération, a quelque chose de fascinant. Selon Sinclair, Rothschild « s’opposa avec véhémence à la décision de Churchill de refuser de révéler à Staline les informations glanées par Bletchley concernant les plans de
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