Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
en grec. »
Lorsqu’ils évoquent le Park et son impact sur ceux qui y travaillaient, bon nombre d’anciens reconnaissent l’autre avantage du lieu. C’était une sorte de programme universitaire par procuration, même si leurs études étaient devenues un peu confuses sur les bords. La plénitude de l’apport du Park ne leur est apparue clairement qu’au cours des années qui suivirent la fin de la guerre.
En règle générale, la Seconde Guerre mondiale ne déclencha pas seulement la volonté de gagner, mais également une détermination visant à faire en sorte que la vie soit ensuite meilleure pour tout un chacun. C’est pendant la guerre que furent conçus, proposés via le rapport Beveridge, débattus et actés les grands changements sociaux du National Health Service 54 et du Welfare State 55 .
Mais ce n’est pas tout car, sur le plan culturel, la soif de transmettre le savoir à un public plus large semblait forte. C’est ainsi qu’est né le principe du partage à grande échelle de l’art, de la littérature, de la musique et de la philosophie, ces disciplines cessant d’être le pré carré d’élites privilégiées. Plutôt qu’une « pause » dans la vie de ces jeunes, le séjour à Bletchley leur a permis, de manière inattendue, de poursuivre leur éducation, comme me l’ont confirmé beaucoup d’entre eux. Une éducation dont ils n’auraient jamais bénéficié autrement.
La question de l’argent était très importante. Avant et pendant la guerre, les progrès technologiques rendaient déjà directement accessibles à un plus grand nombre les œuvres d’art. Bryan Magee rappelle dans ses Mémoires que, lorsqu’il était enfant, dans les années 1930 et 1940, les disques virent leur prix baisser légèrement et devinrent plus répandus. Cela lui permit donc d’écouter de plus en plus d’œuvres majeures de la musique classique. Sa vie s’en trouva changée, la seule musique suscitant en lui l’envie d’explorer d’autres formes d’art.
Ces années virent également l’apparition du livre broché, qui eut pour effet immédiat de rendre la littérature accessible à beaucoup plus de gens. Auparavant, les amateurs de livres devaient se rendre dans des bibliothèques publiques, institutions certes merveilleuses mais dans lesquelles vous ne pouviez emprunter qu’un livre à la fois et pour deux semaines. En achetant ces livres, la découverte n’était plus limitée dans le temps.
Les journaux Mass Observation nous apprennent que la guerre généra un engouement encore plus fort pour le cinéma et notamment pour les superproductions d’Hollywood. Nous découvrons également dans certains de ces récits du quotidien que la plupart des spectateurs avaient un sens critique bien développé et que des films que nous aurions tendance à considérer aujourd’hui comme des classiques étaient à l’époque très critiqués.
Les jeunes de Bletchley affichaient une grande ouverture d’esprit et une grande curiosité. Même ceux qui n’avaient pas été à l’université s’intéressaient à la culture. Mimi Gallilee se souvient avec une tendresse particulière de la bibliothèque installée au sein du manoir. D’autres avaient apporté leurs livres.
« Nous étions très axés sur Freud, rappelle Mavis Batey. Les éditions Pelican avaient publié des versions à 6 pence de Psychologie de la vie quotidienne . Lorsque vous prépariez une licence, comme c’était notre cas, vous en aviez à coup sûr un exemplaire. » Le cryptanalyste de Bletchley Park (Lord) Asa Briggs vit par la suite son ouvrage Social History of England publié par Pelican. L’édition était à plus d’un titre une synecdoque pour une jeune génération avide d’assimiler le plus de connaissances possible. De l’économie à la psychologie, en passant par la linguistique, ces dos d’ouvrage bleus permettaient d’étancher la soif d’apprendre, pour la génération précédant la création de l’Open University 56 par Jennie Lee 57 .
À l’instar d’un nombre surprenant de jeunes de l’époque, Mavis Batey avait, juste avant la guerre, passé quelque temps sur le continent dans le cadre de ses études. « Je connaissais Freud bien mieux que les autres parce que j’étais allée à l’université de Zurich », souligne Mme Batey. Les linguistes devaient normalement passer un trimestre au sein d’une université allemande. Mais, puisque nous étions en 1938 et que les Allemands
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