Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
de son orientation sexuelle, racontant un voyage à Paris au cours duquel il avait séduit un jeune homme qui insistait pour mettre son pantalon sous le matelas pour qu’il garde bien ses plis.
Turing n’en démarra pas moins des séances chez un psychiatre. Certains perçurent clairement que, malgré son énergie et sa bonne humeur, son procès et sa condamnation avaient eu plus d’impact sur lui qu’il ne voulait bien le laisser entendre.
La condamnation de Turing prit fin en 1953. L’université de Manchester le nomma chargé d’enseignement en théorie de l’informatique, ce qui l’aurait mis financièrement à l’abri pour de très nombreuses années. Turing passa également des vacances à l’étranger, chose rare dans les années 1950, période antérieure à l’avènement des avions de ligne.
Par conséquent, les circonstances de son suicide, en 1954, à l’âge de 42 ans, demeurent pour le moins obscures. C’est sa gouvernante qui le retrouva au lit, de l’écume blanche autour de la bouche. Dans la maison se trouvaient une jarre de cyanure de potassium et une solution de cyanure. Une pomme dans laquelle on avait croqué était posée sur la table de chevet. Conclusion évidente : la pomme avait été trempée dans le cyanure. L’écrivain Andrew Hodges alla jusqu’à rappeler comment, plusieurs années en arrière, Turing s’était montré fasciné par le film Blanche-Neige et les Sept Nains et l’effrayante incantation de la vilaine reine : « Plonge la pomme dans le brouet et laisse le sommeil de mort l’imprégner. »
Selon Hodges, Turing avait rédigé un nouveau testament plusieurs mois auparavant. Mais le fait qu’il n’ait laissé aucune lettre et qu’il n’existe aucun indice de son intention d’en finir a poussé les gens à supposer que sa disparition avait quelque chose d’encore plus macabre.
Keith Batey fait partie de ceux incapables de croire que Turing s’est suicidé. Il rappelle ainsi : « Quand j’étais secrétaire au Royal Aircraft Establishment, je me suis retrouvé avec James Lighthill. Il avait été professeur à Manchester en compagnie de Turing. James m’a dit qu’il ne croyait pas au suicide de Turing. Il a précisé que Turing excellait dans l’art de faire des expériences et qu’il était en train de tester l’acidification du cyanure sur le coke. James a ajouté qu’il était en train de manger une pomme pendant l’expérience et que c’est donc comme ça qu’il a été empoisonné. Il a poursuivi en disant que [Turing] s’était acheté deux paires de chaussettes trois jours avant sa mort, ce qu’il n’aurait pas fait s’il s’apprêtait à se suicider. »
Dans la pièce à succès sur Turing Breaking the Code (1988), Whitemore avance délicatement une autre éventualité. Dans la dernière scène, Turing est en vacances en Grèce. Il a séduit un jeune homme. Ce jeune homme ne dit rien et Turing pense qu’il ne parle pas anglais. Alors qu’ils sont tous les deux allongés, Turing, qui se parle à lui-même, finit par évoquer à voix haute Bletchley, le travail qu’il y faisait, les découvertes capitales qu’il a réalisées, le fardeau intolérable de la sécurité et du secret. Le jeune Grec ne pipa toujours pas mot.
Mais nous pouvons froidement en déduire : et si le garçon grec était l’auteur d’un coup monté ? Un espion soviétique ? Ce genre de piège était connu. Dans ce cas, si le garçon comprenait tout et devait faire ensuite son rapport, aurait-il été clair pour les services secrets britanniques que Turing avait divulgué ces informations vitales ? Auraient-ils alors pu opter pour la solution de facilité et s’en débarrasser ?
La pièce se termine là où le spectateur commence à s’interroger. Mais ce n’est que du théâtre. De nos jours, on loue à juste titre les réalisations de Turing et non ses excentricités et manies. Le musée de Bletchley Park renferme un buste du mathématicien. En septembre 2009, le Premier ministre Gordon Brown a présenté ses excuses, au nom du gouvernement britannique et, supposons-le, de la nation, pour les poursuites judiciaires lancées contre Turing.
27
L’héritage intellectuel de Bletchley
« Dans le village de Stony Stratford, il y avait un pub où certains gars de Bletchley avaient l’habitude de se rendre, dit l’ancien du Service Y Geoffrey Pidgeon. Vous pouviez y voir, disons, quatre gars, réunis autour d’une bière et parlant
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