Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
gens à l’aise en parlant de tout et de rien avant d’aborder les sujets sérieux. Lorsque je suis arrivé à Washington, avant d’entrer en contact avec les cryptanalystes, on m’a présenté quelques huiles qui devaient donner leur accord.
Nul doute qu’ils m’auraient mis à l’aise en commençant par des sujets de conversation d’ordre général, mais, dans mon cas, il n’était pas nécessaire de briser la glace. J’arrivais tout juste d’Angleterre, où le régime alimentaire était simple en temps de guerre, et je souffrais de mon premier contact avec la nourriture américaine. À peine arrivé dans le bâtiment, j’ai dû demander : « Où sont les… ? » Quand je me suis enfin retrouvé devant [les dignitaires], tout le monde souriait. Plus besoin de briser la glace.
Autrement dit, même si les officiers supérieurs des deux pays se disputaient sans cesse, il régnait un esprit de camaraderie inhabituel, une certaine chaleur et du respect mutuel entre les cryptanalystes. Pour les États-Unis, la relation était vitale car la Grande-Bretagne avait réalisé de nombreuses avancées intellectuelles inestimables, et parfois tortueuses, rendant possible une telle opération. De la même façon, les ressources militaires fournies par les États-Unis étaient extrêmement précieuses pour Bletchley et la Grande-Bretagne.
Quid, à partir de 1941, des autres alliés de la Grande-Bretagne ? Concernant l’existence de Bletchley Park, les Français firent naître à de nombreuses reprises une anxiété considérable à Whitehall.
C’était bien entendu par l’intermédiaire de Gustave Bertrand, avant le début de la guerre, qu’Alistair Denniston et Dilly Knox avaient reçu des informations de la part des Polonais. Après l’invasion de la France par les Allemands au printemps 1940, les mathématiciens polonais, qui avaient déjà fui la Pologne, devaient de nouveau subir une évacuation, cette fois-ci en Angleterre, même si leur présence près de Bletchley Park représentait un danger sur le plan de la sécurité. Aussi injuste que cela puisse paraître, il faut replacer cela dans un contexte de paranoïa exacerbée. Il se trouve que Rejewski et ses collègues mathématiciens furent autorisés à monter une structure à part dans le Middlesex, chargée d’analyser les interceptions russes. Dans le même temps, le brave général Bertrand demeura en France, sous le gouvernement de Vichy.
Cela provoqua un accès d’anxiété au sein de l’administration de Bletchley Park. Et si les Allemands mettaient le grappin sur Bertrand et ses experts en cryptographie français et les forçaient à révéler les secrets concernant l’Enigma ? Mais, par une méprise extraordinaire, ils ne le firent jamais. On déplora cependant un incident avec les Forces françaises libres du général de Gaulle. En 1943, le général Henri Giraud annonça à la foule qu’il avait eu accès à un message envoyé par un haut gradé allemand. L’information fut relayée à Londres par le Times . Fou de rage, Churchill exigea immédiatement une enquête à Bletchley Park. L’administration ne mit la main sur aucun message correspondant à ce dont le général Giraud disait avoir eu connaissance. Là encore, cette déclaration ne semble pas avoir alarmé le renseignement allemand. Cependant, Bletchley Park fit en sorte que l’on ne transmette aucun message déchiffré identifiable aux Forces françaises libres.
Une autre bataille navale dramatique livrée en 1943 devait mettre en exergue l’immense pouvoir et la vulnérabilité caractéristique du Park. En septembre de cette année-là, les déchiffrements d’Ultra révélèrent en détail les mouvements du puissant cuirassé allemand Scharnhorst . Cet immense bâtiment, qui avait envoyé par le fond de nombreux navires marchands alliés, était presque devenu une obsession pour la marine britannique. Il était basé à Altenfjord, en Norvège. À Noël 1943, les messages Enigma déchiffrés avaient permis à la marine d’en savoir suffisamment sur ses mouvements et intentions pour le frapper.
Après une extraordinaire chasse dans les eaux sombres septentrionales impliquant plusieurs bâtiments de guerre ( Sheffield, Norfolk, Belfast, Duke of York ), et tandis que le Scharnhorst employait plusieurs manœuvres dilatoires pour essayer désespérément de changer de cap, il finit par être touché. Le Duke of York lui porta un coup sévère et, très vite,
Weitere Kostenlose Bücher