Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
des torpilles lancées par les autres vaisseaux percèrent sa coque. Grâce au flux continu de communications déchiffrées à Bletchley, instantanément transmises à l’Amirauté, le redoutable Scharnhorst sombra le 26 décembre 1943.
Au printemps de l’année suivante et après plusieurs échecs, les Alliés lancèrent une nouvelle attaque à l’encontre du dernier des grands maraudeurs allemands, le Tirpitz . Le navire avait lui aussi Altenfjord comme port d’attache. Guidée par des messages Enigma déchiffrés concernant l’heure de son appareillage, une attaque de bombardiers fut coordonnée un matin de mars, à l’aube. Malgré des dégâts importants et la mort de nombreux membres de son équipage, cela ne suffit pas. C’était semble-t-il presque un coup manqué pour Bletchley.
« Il valait mieux, fit observer John Winton, que les Allemands restent absolument persuadés qu’Enigma était inviolable. Même le moins méfiant […] aurait très bien pu se demander pourquoi, après de nombreux mois passés à être réparé, le Tirpitz essuyait l’attaque puissante et bien planifiée d’un avion ennemi, à la minute même où il était remis à l’eau. »
Cependant, les informations glanées grâce à l’interception de messages Enigma révélèrent que le Tirpitz avait été harcelé comme jamais. Il livra sa dernière bataille quelques mois plus tard, là encore au large de la Norvège. Cette fois-ci il sombra, emportant par le fond plus de 1 000 membres d’équipage.
Mais le secret de Bletchley aurait très bien pu être facilement découvert par les Allemands. On se demande toujours comment il a pu en être autrement. Malgré l’Official Secrets Act, et la clause de secret martelée à tous ceux qui entraient en contact avec l’institution, que pouvait faire le Park si le pot aux roses était découvert par inadvertance ou, pire encore, par des espions ?
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1943 : des conversations imprudentes
Le roman à succès de Robert Harris Enigma , publié en 1995, raconte l’histoire d’un espion qui travaille à Bletchley. Dans ce livre, la tension est omniprésente en raison d’événements complètement inimaginables. En effet, si les Allemands avaient eu ne serait-ce que le moindre soupçon à propos du projet britannique visant à craquer leur système de chiffrement, ils auraient rendu ce dernier encore plus complexe et donc pratiquement inviolable. C’est l’un des rares romans à suspens dont l’éditeur peut dire à juste titre que le destin du monde est entre les mains des héros.
Certains anciens de Bletchley adorent ce roman. Ils admirent le talent avec lequel Harris y décrit la vie au sein du Park, tout en y ajoutant beaucoup de suspens. Mais ils précisent que ce suspens, si divertissant soit-il, est en fait extrêmement peu vraisemblable. Pour certains, le secret et la sécurité étaient si imbriqués dans la vie à Bletchley qu’ils en devenaient presque pathologiques. Selon eux, la sécurité était lourde et implacable. On raconte que des femmes travaillant au Park refusèrent même de subir des opérations par peur de lâcher des indiscrétions sous anesthésie. On dit ainsi qu’une femme, professeur à Cambridge, qui participait à des fêtes à Londres, se vantait sous l’effet de l’alcool du travail qu’elle effectuait… Eh bien, on n’entendit plus jamais parler d’elle. Curieusement, d’autres bévues furent commises, qui devaient démontrer à quel point le Park était vulnérable aux conversations imprudentes.
Lorsque l’Europe occidentale tomba sous le terrible joug de l’Allemagne à une vitesse éclair, en 1940, les Britanniques étaient persuadés que leur pays subirait le même sort. Comme le rappelle Mimi Gallilee, on fit le maximum pour confondre les envahisseurs potentiels :
Tout le monde devait rester muet sur tout ; par exemple, on a retiré des quais tous les panneaux indiquant le nom des gares.
Et on a délibérément mis le désordre dans tous les panneaux indicateurs pour que, en cas d’invasion ou si des individus indésirables étaient présents sur notre sol, ils ne puissent pas s’orienter facilement.
Il ne s’agissait pas de soldats en maraude ou d’espions étrangers astucieux, mais du boucher, du boulanger, du fabricant de bougeoirs, de quiconque susceptible de conspirer à l’aide d’un poste de radio secret. C’est à ce stade que la notion de « cinquième colonne », à savoir des citoyens
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