Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
d’apparence ordinaire, collaborant en secret avec l’ennemi afin de miner la société, envahit l’esprit de la population. Les propagandistes allemands jouaient sur cette anxiété dans les émissions destinées à la Grande-Bretagne. Ils annonçaient par exemple que l’horloge de l’église de Banstead, dans le Surrey, avait cinq minutes de retard. Les gens se demandaient comment ils pouvaient avoir ce genre d’information si ce n’était grâce aux membres de la cinquième colonne grouillant dans la région. Mais les Allemands n’ont peut-être pas eu à fournir beaucoup d’efforts pour instaurer cette atmosphère empreinte de paranoïa. Dans chaque ville, tout comportement enfreignant les règles ou inhabituel était consigné et signalé.
Les anciens ont tendance à ne pas évoquer les drames d’espionnage qui se sont produits au sein même de Bletchley. Il ne s’agissait pas simplement de la transmission astucieuse par les Britanniques de fausses informations ni de la propagande noire lancée depuis le centre d’équitation de Woburn Abbey situé non loin (grâce à une fausse station de radio allemande, appelée Gustav Siegfried Eins, dont la spécialité était de porter atteinte à l’honneur des officiels nazis), mais aussi d’épisodes plus sombres qui ont entraîné au fil des ans des allégations et contre-allégations. Comme nous le verrons, il y avait bien des conversations inconsidérées, de la part des Wrens, lieutenants, et autres petits malins qui ne réfléchissaient pas. Les autorités de Bletchley étaient alors rapidement sur le coup. À l’époque, en Grande-Bretagne, on ne manquait pas de volontaires pour surveiller les autres.
Mais, bien que la nécessité de conserver le secret ait été la plus vitale de toutes les priorités, la hiérarchie du Park avait apparemment une confiance au-dessus de la moyenne en ses jeunes recrues. Pour ces jeunes femmes et hommes ordinaires, l’idée même que des espions puissent se trouver parmi eux n’avait pas lieu d’être.
Mimi Gallilee, qui venait tout juste d’avoir 14 ans lorsqu’elle fut prise comme coursière dans cette institution secrète, se souvient très bien de son arrivée. « Il fallait signer l’Official Secrets Act. Il n’y avait pas de présentation. Je ne me souviens même pas que l’on m’ait dit “Voici l’Official Secrets Act”. J’ignorais dans quel genre d’endroit j’allais travailler. Je ne savais pas ce que ma mère faisait là. Et je ne voyais aucune raison de poser la question. Je sais juste que j’ai signé l’Act. Et, bien entendu, on nous a dit qu’il ne fallait pas souffler mot à quiconque de l’endroit où nous travaillions. »
Par la nature de son travail, elle pouvait au moins associer des noms à certains baraquements, chose impossible pour les cryptographes ou linguistes. Mais, dit-elle, c’était une période où toute curiosité naturelle était réprimée.
Vous acceptiez simplement tout ce que vous voyiez sans poser de question. Si vous deviez savoir une chose, on vous le disait. Mon travail m’obligeait à aller et venir à longueur de journée. Le Park recevait au moins quatre fois par jour des lots de messages, que je devais ensuite distribuer aux différents baraquements.
Il fallait donc que je sache où les choses et les gens se trouvaient, y compris le responsable de chaque baraquement, mais je n’étais pas habilitée à traîner dans le manoir.
Certains baraquements étaient même carrément interdits d’accès. Par exemple, pour « accéder » au baraquement 11, il fallait sonner une cloche à l’extérieur. Une Wren ou quelqu’un d’autre, enfermé à l’intérieur, vous ouvrait et vous vous contentiez de remettre le pli sur le pas de la porte.
Des problèmes techniques douteux pouvaient déclencher des alarmes. En mai 1943, H. Fletcher, du baraquement 6, diffusa l’avertissement suivant à ses supérieurs : « Je pense qu’il faudrait se poser sérieusement la question de la nécessité des brouilleurs. Une Wren en communication interurbaine avec sa mère depuis une cabine publique de Newport Pagnell a pu entendre un menu transmis par téléphone à [l’annexe de Bletchley de] Gayhurst. Sa mère a également entendu cette conversation et a fait la remarque qu’elle trouvait ça étrange. »
Ce qui frappe aujourd’hui Sarah Baring, c’est qu’elle ne se souvient pas de la sanction prévue pour tout lapsus
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